Gilles DIENST, Le Rapide de 9h24

Nouvelles

Éditions Quadrature, publié le 10 février 2025

136 pages

J’avais adoré le premier recueil de nouvelles de Gilles Dienst « Le sens du vent », avec déjà un magnifique travail sur la forme, où une première histoire donnait un sens à tout le recueil et des personnages réapparaissaient ensuite quand on ne s’y attend pas, comme sur un coup de vent, ouvrage lauréat en 2023 du prix des Nouveaux Écrivants. Dans ce second recueil, l’auteur reprend et développe le procédé, ce qui donne une cohérence à l’ensemble. Le rapide de 9h24 entre en gare, prêt pour le voyage ?

Avec Gilles Dienst, ça démarre fort. Histoire captivante, personnages marquants qui nous reviendront plus tard, comme par hasard, dans des contextes surprenants, celui où la vie les a placé. L’écriture est très cinématographique. En voici un exemple où je trouve que la scène est immédiatement visualisable. Il s’agit de la nouvelle qui donne son titre et aussi son souffle au recueil, une superbe ouverture où l’auteur joue de l’ambiance ferroviaire pour s’improviser aiguilleur des vies… On est en 1968 dans le rapide 11049 parti de la gare de Lyon à Paris, direction le midi où Monique et Jacques ont l’intention de s’installer pour une nouvelle vie. L’œil (et la plume) de l’observateur suit Jacques qui a porté les énormes valises au contenu mystérieux, observe aussi la papillonnante Monique  :

« Elle avait laissé sa place à Jacques qui s’était tassé dans le coin. Elle sortit une cigarette de son paquet de Royale Menthol, la cigarette de la femme moderne, et se tourna vers l’homme appuyé contre la cloison vitrée du compartiment voisin pour lui demander du feu. La fumée fut immédiatement aspirée par la fenêtre dont la vitre était baissée. »

C’est un autre couple qui apparaît dans la nouvelle « Promener le chien ». Lectrices… méfiance avant de confier votre animal préféré à votre chéri pour la promenade… Ensuite « C’est rien ça va passer » nous fait partager l’angoisse montante de David et Molly face à une tempête torrentielle, vite isolés dans leur maison de basse montagne italienne. Un compte à rebours face aux éléments (effet garanti, on s’y croirait) et une chute à la hauteur.

« Derrière le bruit de la pluie martelant le sol, leur parvint le ronflement énorme qui montait de la rivière, une centaine de mètres en contrebas. Il leur sembla deviner une succession de chocs, dont ils sentirent les vibrations répercutées jusque dans leurs jambes. La peur les saisit sans s’être annoncées. »

« Tante Cécile » est une surprenante histoire d’un frère et d’une sœur face à une réduction de corps (perso je ne connaissais pas ce procédé destiné à gagner de la place, cela m’a fait penser aux têtes réduites…), une « réduction » qui ne se passe pas comme prévu.

« Assurances » et « Voisines » relatent une intrusion dans l’espace de l’autre, cet autre très vite objet de fantasmes, voire de danger. L’auteur excelle dans cet exercice. « Tous des planqués » rentre dans le ressentiment de ceux qui s’accrochent à un passé brisé : le Nord et la mine, la solidarité ouvrière devenant le repli sur soi quand les mines sont fermées.

« Mon père c’est la lignite qui lui a bouffé les poumons ; les Gauloises sans filtre peut-être aussi. Y’s ont dit que c’était que les Gauloises, pour pas payer, mais la silicose on l’attrape pas au bureau de tabac. Ma mère a pas tardé à le suivre. Il a dû lui refiler le cancer à force de lui souffler dans les bronches. »

Plus on avance dans la lecture, plus les nouvelles se font brèves. Au fur et à mesure du temps qui passe, quand la vie avance, que le corps lâche, menacé d’enfermement à l’hôpital, dans une maison de retraite, et c’est difficile de « Passer sous la clôture » ou de chercher « Juste une pause ».

« Il ne sent plus l’air qui lui prend la poitrine comme dans un étau. Il est au-delà du froid, au-delà des sensations. Il rentre chez lui, simplement. Pas question de rester ici, c’est pas sa maison. Et puis ici, il n’y a que des vieux, qui se déplacent tous en fauteuil. Même lui. Chez lui, il se fera un bon café, il prendra une douche chaude et il ira travailler. On doit l’attendre au travail. »

Fort à propos, « La dernière page » aborde à la première personne le travail d’écriture et la difficulté de mettre le point final à la narration, tout en reprenant le personnage de Linda rencontré sur la plage dans « Le sens du vent ».

Avec Gilles Dienst on est tout entier dans notre époque, avec ses supermarchés, ses couples à la recherche d’un équilibre familial souvent précaire, les névroses banales des uns et des autres… Il est impliqué dans chaque personnage, trouvant une belle proximité faite de bienveillance, avec juste ce qu’il faut d’humour aussi. Il m’a étonné cette fois encore, parvenant à parcourir l’étendue de vies entières, dans leur intensité, avec quelques histoires de forme courtes qu’il parvient à pétrir ensemble comme des ingrédients d’un roman désarticulé, à l’image de la vie à l’organisation générale assez variable, sujette à l’imprévu…

Un très grand merci aux Éditions Quadrature ainsi qu’à Gilles Dienst pour cette lecture. Avec de tels livres, le genre est porté vers l’excellence. J’avais lu dans la foulée de son premier recueil Raymond Carver que l’auteur présentait comme un modèle. Cette fois-ci j’ai le projet de prolonger ma lecture en découvrant Annie Saumont, grande spécialiste du genre et prix Goncourt de la nouvelle 1981, à qui il dédie  « C’est rien ça va passer ». Un prix Goncourt peu médiatisé, c’est dommage au vu des prestigieux lauréats… Connaissez-vous ce prix ?

Notes avis Bibliofeel, mars 2025, Gilles Dienst, Le Rapide de 9h24

8 commentaires sur “Gilles DIENST, Le Rapide de 9h24

    1. Bonjour. Annie Saumont est décédée, il y a quelques années, en 2017 je pense. C’était une brillante nouvelliste. Je me suis inspiré de son titre « C’est rien, ça va passer », en hommage.

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        1. Il y en a beaucoup, « c’est rien ça va passer » par exemple. Vous pouvez aussi lire les nombreux articles sur elle, et la vidéo de son passage à La grande librairie. Elle était qualifiée de plus grande nouvelliste de langue française. Découvrez là, elle en vaut vraiment la peine !

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