Michel PICARD, L’œil était dans l’arbre… et regardait de drôles d’oiseaux

Édition L’Harmattan, paru en septembre 2020

Le titre en deux temps est intriguant pour ce livre de 439 pages et un peu plus de 700 g ! « l’œil était dans l’arbre… » évoque vraisemblablement le poème de Victor Hugo, intitulé La conscience dans « La légende des siècles » avec le fameux vers : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. » L’arbre est celui que l’auteur peut voir de son bureau quand il écrit ce récit qui a dû lui demander un travail pharaonique. J’ai regretté que la couverture soit aussi pauvre, le flou de la photo n’étant pas très heureux à mon sens !

Un « Tiger Rag » endiablé cité au chapitre 1, concernant Adrien, le personnage principal : « La veille, le rugissant « Tiger Rag » interprété par Louis Armstrong, un dixieland conclu par un vivifiant affrontement entre trompette et batterie, l’avait parfaitement dynamisé. »

Après un premier chapitre où Adrien, jeune ornithologue « sincère », est occupé à ensevelir un cadavre dans une caverne, le récit opère par flash-back dans un agencement qui évoque tout à fait le scénario d’un film. Pas étonnant ! Après 15 ans dans le cinéma, la télévision et vingt ans d’écriture de scénarios de téléfilms, de séries et de documentaires sur le monde animal, Michel Picard écrit ici son premier roman. En gros on assiste à un règlement de compte au sein de deux familles voisines particulièrement déglinguées. Le suspense consiste à deviner à qui appartient le corps qu’Adrien a fait disparaître ? 

Un thriller qui traite de la barbarie animale, c’est original, surtout quand ces animaux règlent leur compte eux-mêmes.

Du côté des humains, on a un schéma somme toute très classique avec des bons et des méchants, vraiment très méchants et même complètement cinglés. Je n’en dis pas plus pour ne pas dévoiler l’intrigue.

J’ai aimé les aventures d’Adrien alias « p’tit moineau » et son amoureuse Karine qu’il nomme « p’tite belette ». Cela donne des moments charmants et drôles. J’ai aimé l’intervention des animaux, Scarlett le perroquet qui n’hésite pas à mettre son grain de bec pour pimenter l’action, Rahel le serpent boomslang et l’araignée veuve noire à la recherche de chair fraîche à piquer, leur personnification apporte une touche originale à la narration :

« Depuis sa crevasse, Rahel, le boomslang, inquiété par la remontée soudaine de ces deux humains, fut soulagé de les voir s’éloigner de nouveau. Il étira sa langue fourchue en quête de molécules odorantes et, celles-ci, une fois plaquées contre son palais, et analysées via son organe de Jacobson, constata qu’il y avait peut-être quelques rongeurs troglodytes à portée d’estomac, de quoi changer son menu, fait au mieux d’une souris congelée par mois. Comme, de plus, son analyse olfactive lui indiquait que l’un des deux humains qui venaient de le frôler devait être le fils de celle qui le séquestrait depuis tant d’année, il s’était dit, dans son cerveau de reptile reclus en terrarium, que si l’occasion s’en présentait, il pourrait enfin se venger. »

Les personnages sont nombreux et trop peu incarnés sauf par le flot de questions qu’ils se posent du côté des vengeurs (Adrien et sa sœur Flore, Noreen et Marine, Diego… et certainement l’auteur chargé d’organiser tout ça…) ou par leur vide psychologique du côté maltraitance animale (Blandine et Cyril parents d’Adrien, Fergus le voisin savant fou ainsi que Vincent le frère cupide d’Adrien). Les situations sont souvent peu crédibles et la mise en scène plombée par une multitude de détail…

J’ai été tenté plusieurs fois de laisser tomber cette lecture plutôt pesante. Mais j’ai continué car l’habileté du scénariste était là et je souhaitais voir comment tout cela finirait. L’écriture égale et sobre nous emmène vers une fin grand-guignolesque qui finalement en allège considérablement la charge de violence.

Curieusement l’impression générale n’est pas mauvaise. Émerge de l’histoire, pour un lecteur curieux qui prolongera sa lecture par quelques recherches, une réflexion sur les expériences d’immortalité, sur la maltraitance animale et l’exploitation du vivant. L’évocation à maintes reprises des écorchés d’Honoré Fragonard (cousin du célèbre peintre rococo Jean-Honoré Fragonard) est intéressante pour peu que l’on connaisse l’existence de son musée à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, ainsi que les controverses liées à la réalisation et l’exposition de restes humains. L’auteur a œuvré dans le documentaire animalier, il le connaît parfaitement. Ce qu’il décrit là n’est pas si loin de la réalité quand je découvre par ailleurs, en écrivant cette chronique, les polémiques et « révélations » entourant des expositions (épouvantables souvent) mettant en scène des cadavres plastinés… On est très loin dans ce cas des pièces anatomiques de Fragonard dont la visée éducative pour les futurs vétérinaires, au siècle des Lumières, dans un contexte non mercantile, est patente. Je conseille de parcourir ces quelques pages du mémoire de Christophe Degueurce, particulièrement éclairantes sur un sujet important pour la préservation autant que possible de notre humanité. C’est [ ici ] !

Merci aux éditions l’Harmattan et à Michel Picard pour l’envoi de ce livre surprenant qui, s’il ne m’a pas totalement convaincu sur la forme, m’aura permis de découvrir un auteur à l’imagination débridée et permis d’accéder à des thèmes rarement abordés dans la littérature sous cette forme.

Notes avis Bibliofeel novembre 2020, Michel Picard, L’œil était dans l’arbre et regardait de drôles d’oiseaux

En marge du livre : Victor Hugo dans un poème de La légende des siècles, en 1859, intitulé La Conscience, consacre une centaine de vers aux remords de Caïn, premier meurtrier, poursuivi par un œil omniprésent. Il demande à ses enfants de le protéger mais l’œil est toujours là. Alors Caïn s’enterre, mais rien ne peut arrêter l’œil de Dieu, de la culpabilité…, Caïn ne peut fuir sa conscience : « L’œil était dans la tombe, et regardait Caïn ».

« Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
Échevelé, livide au milieu des tempêtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme le soir tombait, l’homme sombre arriva
Au bas d’une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d’haleine
Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
Il vit un œil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait dans l’ombre fixement. »
……

« …. Alors il dit: « je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et Caïn dit « C’est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,

L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. »

8 commentaires sur “Michel PICARD, L’œil était dans l’arbre… et regardait de drôles d’oiseaux

  1. Merci pour ce partage! j’ai lu un ouvrage intéressant consacré à la condition animale « défait des maîtres et possesseurs » de Vincent Message qui met en perspective notre relation à l’animal en faisant de nous les « animaux » et en se plaçant dans la perspective des narrateurs.

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    1. Je comprends tout à fait, j’étais dans le même état d’esprit au début et puis l’envie de savoir ce que l’auteur voulait exprimer m’a incité à poursuivre. Malgré les défauts, cette lecture m’a entraîné vers des réflexions passionnantes et j’ai aimé faire cette chronique. J’ai lu récemment un Thilliez, « le manuscrit inachevé ». Défaut inverse. Il y a le style et le plaisir de lire mais un vide sidéral sur le fond. Je n’ai même pas tenté une critique. Entre les deux je vote Michel Picard. Tout dépend de ce que chacun recherche. Merci pour ta lecture et ton commentaire !

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    1. Aïe. En plus, je lis actuellement un livre concernant Emmanuel Kant mais un « Kant à la plage, la raison pure dans un transat », commencé avant le confinement. J’ai aussi des lectures plus distrayantes en cours, notamment un Murakami. Belle journée à toi et bonnes lectures !

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  2. Bonjour Alain,
    Tout d’abord Grand Merci pour votre superbe photo-montage (*) qui suffit, presque à lui tout seul, à évoquer mon thriller ! Scarlett, le ara, et la Veuve noire, sans nom, sont à remercier pour leur figuration !
    Merci pour la citation (parue aussi dans Babelio). Rahel, le boomslang, est enchanté !
    Deuxième Grand Merci pour votre chronique écrite (avec musique !) extrêmement travaillée et pertinente.
    Que ma façon de rédiger soit perfectible j’en suis parfaitement conscient. Mon problème avec ce premier roman a été, avant tout, de traduire en phrases écrites, les plus littéraires possibles, toutes les images, générées par les fantasmes de ma « gargouille ». On ne se refait pas, je suis plus un homme d’images animés que de mots alignés. La preuve en est que, mon livre à peine édité, alors en pleine période de premier confinement, j’ai éprouvé le besoin de regrouper en musique toutes les images que j’avais dénichées (volées!) sur Internet, à des fins de documentation, au cours de mes années d’écriture. C’est ainsi que j’ai créé ce que j’appelle « L’Imagier » de mon thriller, un assemblage de visions, très rythmé, qui pourrait permettre, à ceux qui l’ont lu, de vérifier si les images et les musiques, y compris Tiger Rag, qui tournent dans leur tête sont semblables à celles qui ont cognées ou tourbillonnées dans la mienne ou, à ceux qui ne l’ont pas lu, d’être tenté de le faire… ou pas !+) :
    https://www.youtube.com/watch?v=hAOL8zv-6dQ
    Sur ma chaîne YouTube vous pouvez aussi voir quelques vidéos qui m’ont inspiré quelques péripéties de mon histoire foutraque sur la playlist : « Mon thriller & ses images », ainsi que, quelques exemples de mes films « assistés, scénarisés ou réalisés » au cours de ma modeste carrière de cinéaste :
    https://www.youtube.com/channel/UCsgU8Yd9ycdVOLctcbVb5TQ
    (La plupart de ces vidéos sont non monétisables du fait des musiques utilisées.)
    Merci pour le petit coup de chapeau à Victor Hugo qui m’a bien évidemment soufflé mon titre.
    Merci pour votre réponse au commentaire de Viduite (bon courage à elle si elle retente une lecture !) dans lequel vous me comparez avantageusement à Frank Thilliez que j’admire profondément.
    Thrillerment votre,
    Michel Picard.
    (*) (Si vous n’y voyez pas d’inconvénient j’aimerais éventuellement utiliser votre photo-montage dans certains de mes contacts, ou petite publication de promotion, bien sûr en indiquant dessus votre nom et celui de votre blog.)

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    1. Merci mille fois pour votre commentaire qui enchante cette journée. Vous pouvez tout à fait utiliser le montage. C’est un honneur auquel je n’aurais jamais pensé. Recontactez moi si vous voulez une meilleure qualité. Ce blog est là pour promouvoir la lecture, partager ma passion et ce type d’échange constitue pour moi une grande satisfaction. Belle soirée à vous.

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