Djaïli AMADOU AMAL, Les impatientes

Paru en en septembre 2020

Éditions Emmanuelle Collas

Prix Goncourt des lycéens*

Dans cette fiction basée sur des faits réels, trois femmes se confient à nous dans trois histoires, trois destins liés. La construction est astucieuse. Nous lisons leur récit en passant d’un point de vue à un autre, et pourtant c’est la même injustice qui se répète, plus ou moins supportable ou bien carrément tragique. Ramla, 17 ans est contrainte de se marier avec un homme riche de 50 ans, polygame, avec la perspective d’une prison dorée ; Hindou, sa sœur, doit épouser son cousin Moubarak, addict à l’alcool et la drogue, qui ne va pas tarder à la battre et la violer ; Enfin, Safira doit partager son mari avec la jeune Ramla du début du roman, qu’elle voit comme une rivale dont il faut se débarrasser. Elles aspirent à se libérer. Comment y parvenir ?

La religion, la tradition servent de toile de fond, de force de persuasion, afin de contrôler, de soumettre les femmes qui sont là seulement pour s’occuper du foyer, des enfants et satisfaire tous les désirs de leur mari… jusqu’à ce qu’il prenne une autre femme plus jeune. Le récit ne donne aucun rôle positif aux hommes, tous lâches et d’une mauvaise foi épouvantable, répétant « muyal, patience » pour simplement les asservir, sans jamais tenir compte de leur souffrance ! « Craignez votre Dieu. Soyez soumises à votre époux. » « Le paradis d’une femme se trouve au pied de son époux. » « C’est la volonté d’Allah d’enfanter dans la douleur. »  

« Les conseils d’usage, qu’un père donne à sa fille au moment du mariage et, par ricochet, à toutes les femmes présentes, on les connaissait déjà par cœur. Ils ne se résumaient qu’à une seule et unique recommandation : soyez soumises ! »

Diversité des langues, des religions d’un pays aux frontières arbitraires héritées du colonialisme

Le mérite premier du livre est de nous montrer de l’intérieur cette polygamie dont nous sommes si éloignés. L’autrice est née dans l’extrême nord du Cameroun, à Maroua, là où est situé le récit. Elle a réussi à s’extraire du poids des traditions, de la religion, de l’inertie des mères, des tantes qui perpétuent les violences faites aux femmes. Cette femme, c’est Djaïdi Amadou Amal, mariée à 17 ans, sous la contrainte du chantage affectif de sa communauté. Elle a fui, seule et sans soutien, et à réussi à se reconstruire. Elle sait donc de quoi elle parle et peut maintenant témoigner. Le miracle a opéré : la littérature l’a sauvée et lui permet d’être la voix des femmes de l’Afrique sub-saharienne mais pas seulement. A travers des réalités très différentes, bien des femmes de par le monde sont dans cette situation d’impatience par rapport aux inégalités qui les maintiennent en situation de dominées, voire de victimes de violence.

L’autrice dans les nombreuses interviews qu’elle a données à la sortie de son livre, devenu un gros succès en librairie, parle de mauvaise interprétation du coran, celui-ci encouragerait l’éducation et interdirait le mariage forcé… C’est malheureusement le poids intégriste, sectaire de la religion qui prévaut ici, une tendance en augmentation, semble-t-il, dans cette zone. Bible, Coran, Torah… et des religions très proches à l’origine qui ont toutes leurs intégristes prêts à punir et tuer s’il le faut pour persuader leur auditoire alors que d’autres dans ces religions trouveront dans ces mêmes textes matière à rapprocher et éclairer les hommes (on n’est pas loin des ténébreux et des lumineux de Victor Hugo à la fin de son chef-d’œuvre Les Misérables, cf citation à la fin de cette chronique*).

Sona Jobarteh est une chanteuse et instrumentiste d’origine gambienne. Elle est la première femme joueuse professionnelle de kora. Avant elle, la pratique de l’instrument était exclusivement transmise de père en fils.

Sorti au Cameroun en 2019, puis dans différents pays africains, le livre a été remanié et a changé de titre. Au départ c’était « Munyal, les larmes de la patience ». Le nouveau titre est plus optimiste : il n’est plus question de larmes, LES IMPATIENTES sont là, elles n’ont que trop patienté ! Lisons Djaïli Amadou Amal pour sa sincérité, son engagement, sa force de conteuse s’adressant à tous dans un style simple et efficace.

Lien à copier sur votre moteur de recherche pour en savoir plus grâce à une intéressante interview de l’autrice : information.tv5monde.com/terriennes/les-impatientes-le-pamphlet-de-djaili-amadou-amal-contre-le-mariage-precoce-et-le-viol

Notes avis Bibliofeel janvier 2021, Djaïli Amadou Amal, Les impatientes

*Le Goncourt des lycéens permet à près de 2 000 élèves de lire et d’étudier la sélection de romans de la liste du Goncourt. Une cinquantaine de classes de lycéens âgés de 15 à 18 ans vont étudier des livres de la sélection et élire un délégué pour défendre leurs choix lors de délibérations régionales. Une finale se tient ensuite à Rennes où est attribué le Prix.

**Victor Hugo, Les Misérables, tome IV : « La vraie division humaine est celle-ci : les lumineux et les ténébreux. Diminuer le nombre des ténébreux, augmenter le nombre des lumineux, voilà le but. C’est pourquoi nous crions : enseignement ! science ! Apprendre à lire, c’est allumer du feu ; toute syllabe épelée étincelle. »

24 commentaires sur “Djaïli AMADOU AMAL, Les impatientes

  1. Un roman que j’ai vu et revu sur WordPress et Instagram. Son titre et sa couverture m’interpelaient mais, je continuais mon chemin (ayant tellement de livres sur mes étagères). Et aujourd’hui… Je suis contente d’avoir lu ta chronique qui me donne très envie de lire Les impatientes !
    Alors, merci !

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    1. Heureux d’avoir retenu ton attention ! Je te souhaite une bonne pioche sur tes étagères 😉 et de bonnes lectures, mais attention elles sont impatientes qu’on s’occupe d’elles, les héroïnes de ce livre ! Merci pour ton commentaire et belle soirée !

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    1. Super ! J’aime bien m’imprégner de l’ambiance du livre et tenter de partager mon ressenti personnel par les musiques, les images (avec le wax du Cameroun par exemple, une photo personnelle dont j’aime les couleurs !). Merci énormément et belle soirée !

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  2. Un livre que je n’ai pas encore lu mais important pour la cause des femmes et pas seulement en Afrique. Il y a tant à faire mais nous sommes en chemin. Nous les hommes avons collectivement et individuellement du chemin à faire, dans les mots, les actes. Ça bouge, et ce livre à mettre en priorité entre les mains des hommes, y contribue. Merci Alain pour ce post.

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  3. Je suis ravie que ce livre au sujet si important ait reçu une telle couverture médiatique ! L’histoire est dure à lire mais permet d’ouvrir les yeux sur une réalité bien douloureuse… Un roman à partager, même si je regrette que le style d’écriture ne soit pas plus littéraire (ce à quoi je m’attendais de la part d’un ouvrage faisant partie de la sélection finale du Goncourt). J’ai d’ailleurs publié ma chronique à ce sujet aujourd’hui !
    Bonne journée et merci pour vos avis constructifs.

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    1. Merci pour « les avis constructifs », ce que je retrouve également sur votre blog ! Je trouve normal d’utiliser les œuvres pour réfléchir et essayer d’améliorer ce qui doit l’être, ce qui n’empêche aucunement la lecture plaisir. Bon dimanche à vous !

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