Maj SJÖWALL & PER WAHLÖÖ, Le policier qui rit

Éditions RIVAGES / NOIR, paru en OCTOBRE 2020

Traduit de l’anglais par Michel Deutsch

Révisé à partir du suédois par Benjamin Guérif

336 pages

Avec une préface de Jonathan Franzen et une autre de Sean et Nicci French

Maj Sjöwall (1935-2020) et Per Wahlöö (1926-1975) dans les années de publication
des romans mettant en scène l’inspecteur Martin Beck.
Une belle expression sur leurs visages et dans leurs livres !

Voici un classique du genre, réédité plusieurs fois depuis que ces célèbres auteurs suédois l’ont écrit en 1968. Il est le quatrième roman mettant en scène l’inspecteur Martin Beck et son équipe. La série, qu’ils nommeront Roman d’un crime, en compte dix, publiés entre 1965 et 1975. Les éditions Rivages/noir ont repris tous ces titres entre 2008 et 2020 dans une traduction corrigée. Lui, Per Wahlöö vient du journalisme, elle, Maj Sjöwall de l’édition. Ils forment un couple à l’écriture et à la ville, l’un des couples les plus célèbres du roman policier mondial. Ils ont inspiré de nombreux auteurs de polar suédois et par extension scandinaves, qui sont légions maintenant, ce qui n’était pas du tout le cas avant eux, le genre étant auparavant dominé par le roman noir américain. 

Un autobus rouge à impériale en travers du trottoir. Les policiers découvrent un véritable carnage. Le chauffeur et les huit passagers ont été abattus à la mitraillette. Acte d’un déséquilibré ou d’un terroriste ? Un policier se trouve au nombre des victimes, Åke Stenström. Est-ce une simple coïncidence ? Chacune des victimes va être étudiée à la loupe par l’équipe de Martin Beck, un travail colossal très bien décrit ici, avant que n’émerge une piste. Côté enquêteurs tous sont plutôt communs, pas du tout des héros beaux et intrépides. Leur force principale résulte du collectif, là aussi une belle leçon !

Les auteurs ont l’art de créer une atmosphère et à la fois d’enraciner le récit dans l’histoire : le premier chapitre présente les deux enquêteurs Berg et Kollberg occupés à jouer aux échecs – Berg est un bon policier mais lamentable à ce jeu – alors que se déroule à Stockholm une manifestation contre la guerre du Vietnam, violemment réprimée par la police. Le bus n’apparaît qu’ensuite…  Pluie, obscurité participent au mystère, augmentent les émotions ressenties :

« Quel temps, songea-t-il avec écœurement en regardant par la fenêtre. Novembre, l’obscurité, la pluie, le froid. L’hiver approchait. Bientôt, ce serait la neige. »

Le chapitre 21 est le chapitre qui m’a le plus marqué, un chapitre clé dans l’évolution de l’enquête. L’associé principal de Martin Beck, Lennart Kollberg se rend au domicile de Åsa Torell, la petite amie du policier assassiné dans le bus. Kollberg est un policier aguerri mais incapable au départ d’affronter la détresse de la jeune femme qui, nerfs à vif, tourne dans la pièce comme un animal en cage, enfermée dans la douleur de la perte de l’être aimé. C’est parfaitement écrit avec toute la psychologie et l’émotion possibles. Lui, calme au début, elle, nerveuse jusqu’à ce que tout bascule à un moment de l’échange. La confiance s’installe doucement et des confidences intimes, précieuses pour trouver l’auteur des faits, émergent enfin. Un chapitre que j’ai relu après coup car il est un récit en lui-même, à la construction complexe, parfaite !

« Elle tressaillit et le regarda. C’était presque de la haine qui luisait au fond de ses yeux bruns. Néanmoins, elle s’assit dans un fauteuil, raide comme un piquet, les mains sur les cuisses. Elle tenait toujours son briquet et sa cigarette éteinte. »

Classique ne veut pas dire vieillot, loin de là. On est réellement au côté des enquêteurs qui progressent pas à pas dans un suspens bien présent. C’est du solide et les pièces du puzzle s’ajustent parfaitement dans les dernières pages. J’ai vraiment été surpris par la modernité de ce polar écrit il y a un demi-siècle !

L’engagement social des auteurs fait partie de l’œuvre, lui donne une vérité. On est en 1968, le contexte historique est très riche. La Suède fait office de modèle dans un système social plutôt jalousé ailleurs. Le pays n’a pas connu la guerre sur son territoire et est assez prospère. Mais tout commence à se fissurer. La contestation mondiale et des attentes nouvelles sont là, des foules importantes manifestent contre la guerre du Vietnam… La grande force des auteurs est de s’attacher à ce fond social sans que cela nuise à la grande richesse de l’intrigue. Le titre Le policier qui rit alors que l’ensemble est très sombre, traduit bien les contrastes de ton utilisés, le tout subtilement allégé d’humour et d’une douce ironie.

« L’inspecteur Lennart Kollberg n’aimait pas Lyndon Johnson, il n’aimait pas non plus la guerre du Vietnam mais il aimait marcher sous la pluie. »

Maj Sjöwall & Per Wahlöö ont ouvert une nouvelle voie dans le genre. Par la suite Henning Mankell (mettant en scène l’inspecteur Kurt Wallander), Gunnar Staalesen (et son inspecteur Varg Veum), et bien d’autres, prolongeront l’œuvre de ces précurseurs en développant une réflexion sociologique habilement mêlée au texte. La notoriété du polar scandinave va alors connaître un succès phénoménal dans le monde entier. Curieusement Le policier qui rit est le dernier des dix tomes du Roman d’un crime à être réédité par Rivages/noir alors qu’il est considéré comme un des plus réussi de la série. En tout cas il m’a fortement impressionné et je compte bien reprendre un Sjöwall et Wahlöö très rapidement. Peut-être avec le premier tome dont le titre est Roseanna, voire avec la BD tirée du roman Le policier qui rit, réalisée par Martin Viot et Roger Seiter.

Notes avis Bibliofeel décembre 2021, Maj Sjöwall & Per Wahlöö, Le policier qui rit

13 commentaires sur “Maj SJÖWALL & PER WAHLÖÖ, Le policier qui rit

  1. Bonjour,
    Merci pour cette découverte, je ne connaissais pas du tout ce duo auteur/autrice qui semble pourtant si emblématique !
    J’aime beaucoup ton analyse du chapitre 21, il est intéressant de pouvoir se plonger ainsi dans le roman sans le lire nous-même, une petite fenêtre ouverte sur l’œuvre…
    Je ne sais pas si je lirai « Le policier qui rit », mais au moins j’en ai maintenant connaissance !

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    1. Je vois que ta lecture a été très attentive pour faire ce retour concernant le chapitre 21. Les chroniques sur nos blogs ouvrent des petites fenêtres sur les œuvres, c’est tout à fait exact et infiniment précieux. Et de temps en temps on passe par la grande porte pour rendre visite aux auteurs-autrices qui ont construit une si belle demeure ! Oui il est important d’avoir connaissance de nouveaux livres pour élargir notre choix parmi la multitude. Un commentaire qui me ravi !

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      1. On aimerait pouvoir tout lire et tout connaître (ou presque), mais c’est malheureusement impossible – toutefois, c’est aussi ce qui fait le charme de ce monde, n’est-ce pas ?
        Vive(nt) les chroniques pour faire des choix de lecture plus éclairés et élargir nos horizons !

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    1. Je ne connaissais pas du tout également ! Un vrai plaisir de les découvrir et de partager sur mon blog. Les polars scandinaves ont pris une belle place dans le genre et il est intéressant de remonter à l’origine. Aucune lacune à combler, seulement la joie de ces lectures apportant leur petit plus de réflexion sur l’histoire et la vie des idées !

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    1. Oui, on ne peut pas tout lire, le problème est celui du choix. Avec les échanges sur les blogs on sait au moins que les œuvres existent et qu’un jour, au gré des priorités, on peut les retrouver…

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  2. Bonjour Bibliofeel, j’ai (re)lu les 5 premiers de la série et c’est vrai que Le policier qui rit (qui a aussi été adapté en BD) est très bien. Roseanna est hautement recommandable. Bonne fin d’après-midi.

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