Léa CHAUVEL-LÉVY, Une demande folle

Éditions JC Lattès, publié en février 2024

206 pages

De passage à Paris, un homme rend visite à sa fille de 28 ans, lui annonçant qu’il n’est pas sûr d’être son père et lui demande de faire un test de paternité. Rose accepte de prendre « le train du doute » vers un hôpital de Lausanne, le test n’étant pas légal en France. Puis de retour à Paris, elle perd pied, revisite son enfance, l’histoire incomplète de ses parents, sa relation à l’amour et aux hommes. Le temps passe mais le malaise s’installe. Des années plus tard, devenue mère, elle cherche des réponses : cette demande a-t-elle un sens ? Quelle est la part du biologique et du culturel dans la filiation ? Elle enquête et cela donne les plus belles séquences de ce récit inspiré de la vie de l’autrice. Elle rencontre un sociologue, un avocat, un juge aux affaires familiales, une ancienne garde des sceaux (son nom n’est pas donné mais je crois avoir reconnu Christiane Taubira) et même un prêtre. Une demande folle parcourt un chemin escarpé, entre les doutes déstabilisants et les chemins résilients qui n’appartiennent qu’à soi-même.

Disons d’emblée que je n’étais pas sûr d’être intéressé par le sujet. J’avais tort. L’auteure trouve les mots, son écriture est riche et intéressante. Suivre le parcours de Rose devient vite addictif, sous l’impulsion de cette écriture vivante, l’héroïne s’appuyant sur des gens qualifiés qui vont l’aider à trouver le chemin d’un certain apaisement. La démarche de cette autofiction pourrait concerner n’importe quel problème existentiel, ainsi le roman peut toucher chacun de nous. Elle place à bon escient des définitions comme des crans dans le raisonnement, sur lesquels le roman peut progresser sans heurts : rappel de ce qu’est l’état de sidération, la transmission des traumatismes, le recours à un avocat qui va rappeler la loi dans sa précision et son autorité…

« Je ne vais pas sortir de cette histoire vivante si je suis seule face à elle. Il faut que je m’entoure d’alliés de raison, tous ceux que j’aurais dû voir il y a dix ans pour bâtir une muraille théorique. »

J’ai aimé le soin apporté aux débuts des chapitres, toujours travaillés et poétiques. Quelquefois je me suis arrêté avec plaisir sur des mots rares dont j’allais découvrir la richesse, faite de précision et de sophistication. Trouver un mot rare c’est un peu comme découvrir une plante jamais observée pour un botaniste, une excitation esthétique et une nouvelle projection dans le vivant. Les paroles maupiteuses (inconnu de la correction automatique… et ça j’aime…), les mots phatiques, la paréidolie, la péroraison, l’épigénétique... J’ai aimé son irritation au sujet de l’usage de l’expression « je reviens vers vous » ou sur ce que veut dire « le milieu social ». Beaucoup de passages pourraient être cités utilisant des images originales, des associations de mots inattendus, par exemple « bander les divagations ».

« Il est curieux ce mot « milieu », il dit tout l’en dedans d’une situation. Le milieu, entre quatre murs qu’on ne choisit pas. Le milieu comme la place que l’on voudrait entre ses parents dans le lit, toute la nuit, toute la vie, peut-être. On la veut cette place, rassurante et chaude, contre les portes fermées et les nuits enfoncées, pour la rejeter plus tard si « le milieu » n’est pas satisfaisant, si la culture n’est pas satisfaisante, si les livres manquent, si les coudes sont sur la table, si les bouches sont ouvertes pendant que l’on mange. Cette place. »

Elle y va direct dans la narration de son intimité affective et sexuelle mais d’une manière tout à fait à elle, sans reprendre les codes qui sont trop souvent des codes masculins, hérités certainement de siècles de culture où on n’a pas laissé les femmes s’exprimer. Images nouvelles, portant haut le désir, l’érotisme… Elle le dit joliment : « Je me fais la réflexion que j’ai des standards et qu’un homme ne pourrait pas écrire cela. »

Un livre surprenant qui me révèle une autrice possédant un style propre et une exigence de justesse. J’ai bien envie de découvrir son premier livre consacré à la femme d’André Breton, intitulé Simone. La formation de Léa Chauvel-Lévy en philosophie politique et éthique à la Sorbonne puis à l’École des Hautes Études en Sciences sociales (EHESS) donne visiblement de l’épaisseur à un sujet assez improbable au départ pour moi. Un livre qui dit bien plus que cette folle demande et une vraie belle découverte. Et puis, rappeler avec la manière que la loi peut-être là pour protéger, qu’il est possible de trouver une aide efficace quand le malaise s’installe, n’est pas une mauvaise chose. Qu’en pensez-vous ?

Autres citations :

« J’ai annulé mes impératifs pour sauter dans un train, comme on rejoint son destin, tout le reste devenu caduc. Je suis dans le train matriciel, je me liquéfie. Je n’ai plus d’ossature dans ces moments là. »

« Je ne vais pas sortir de cette histoire vivante si je suis seule face à elle. Il faut que je m’entoure d’alliés de raison, tous ceux que j’aurais dû voir il y a dix ans pour bâtir une muraille théorique. »

Notes avis Bibliofeel mars 2024, Léa Chauvel-Lévy, Une demande folle

15 commentaires sur “Léa CHAUVEL-LÉVY, Une demande folle

    1. Oui ? J’en suis ravi car mon avis semble un peu supérieur aux avis trouvés sur les réseaux… Après il faut voir par soi-même, évidemment. Les points forts, pour moi : le style, la sensibilité et la faculté de chercher les réponses aux bons endroits. Ce n’est pas rien ! Je lis en cette période beaucoup de roman dans le cadre de ma sélection pour le jury du livre Orange (belle expérience dont je reparlerai) et je n’ai pas souvent trouvé cette exigence. Je sors de beaucoup de roman assez déboussolé…

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  1. Voilà un sujet qui m’intéresse, la filiation. En amont (se demander si on est bien l’enfant de gens que l’on ne comprend plus et dont on se sépare, les estimant nocifs) comme en aval ( retrouver en ses enfants ses propres défauts sans pouvoir vraiment aider à les atténuer alors qu’on en connaît des conséquences) sont mes préoccupations passées et actuelles. J’ai noté cet ouvrage pour une éventuelle acquisition. Merci beaucoup.

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  2. J’aime beaucoup aussi ces lectures qui jonglent avec le vocabulaire. Ces dernières m’amènent à fouiller et à découvrir. Je ne connaissais pas cette autrice mais je suis certaine à te lire qu’elle a tout pour nous pousser dans une réflexion profonde sur des enjeux cruciaux. Merci pour la découverte!

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