Sophie DIVRY, Fantastique histoire d’amour

Éditions Seuil, publié en janvier 2024

512 pages

Bastien est inspecteur du travail à Lyon. Il enquête sur un accident : un ouvrier travaillant dans une usine de traitement de déchets est mort broyé dans une compacteuse hydraulique. Il découvre rapidement que l’accident est en réalité un homicide. Les chapitres concernant Bastien alternent avec ceux de Maïa, une jeune femme qui cultive son indépendance et se débat dans la précarité en tant que journaliste scientifique. Profitant de la présence d’une tante physicienne au Cern (Centre européen de recherche nucléaire), Maïa part vers la Suisse afin de faire un article sur le cristal scintillateur, un matériau aux propriétés prometteuses récemment découvert. Sa tante Victoire lui révèle qu’une expérience a mal tourné, un cristal de couleur bleu intense a été fabriqué par hasard, aux propriétés inquiétantes. Il provoque soit une hyper dépression, soit une hyper agressivité chez ceux qui le manipulent. Elle lui annonce que le cristal bleu est sorti par erreur du Cern et lui demande de l’aider à le récupérer afin de le détruire avant qu’il ne tombe dans des mains criminelles.

Cette double intrigue sert de toile de fond à une histoire d’amour rocambolesque entre deux personnalités fortes et attachantes. Bastien, vaguement alcoolique et vaguement catholique, est en rupture avec sa famille, en quête du grand amour et d’une joie de vivre qui l’a abandonné. Et voilà qu’il a remarqué une jeune femme alors qu’elle faisait son footing au parc. Elle le fascine par sa capacité à attirer les oiseaux… Elle se prénomme Maïa, leurs destins sont liés sans qu’ils le sachent encore, grâce à la puissance du cristal bleu.

Le roman bénéficie d’un excellent départ : on est immergé au sein de l’inspection du travail à travers Bastien, personnage tout à fait crédible et bien campé dans son désir d’appliquer la loi sans toutefois en avoir les moyens. L’alternance des chapitres avec Maïa, journaliste scientifique un peu tête en l’air, est intéressante, elle permet de découvrir des métiers emblématiques, soit visant à protéger les salariés, soit à alimenter des médias à la recherche de fortes audiences. Les deux personnages principaux ont besoin de donner un sens à leur vie. On attend impatiemment qu’ils se retrouvent, et peut-être, qu’ils s’aiment puisqu’il s’agit d’une Fantastique histoire d’amour... Il leur faudra trois cents pages pour cela, pour notre plus grand bonheur car ces pages d’attente sont dans les meilleures.

Viennent s’ajouter des personnages hauts en couleur dont la tante Victoire, chercheuse un peu barrée « coiffée comme un champignon », les inquiétants banquiers suisses, courant après le cristal bleu pour le profit sans se soucier des dangers pour ceux qui le manipulent, Henri le copain de Bastien, libraire…

Quel plaisir d’être en empathie avec Bastien et Maïa, d’avoir envie de les retrouver alternativement puis réunis à la fin. J’ai été pris par l’histoire avec ses surprises, son rythme dingue, son côté légèrement fantastique, étrange, un peu à la Murakami (Maïa et les mésanges, la perte d’objets, la compacteuse…). J’ai aimé l’intrusion dans la recherche scientifique et de découvrir le Cern de l’intérieur, un centre européen cultivant habituellement le secret. Le récit navigue entre ambiance documentaire, thriller et feuilleton à épisode bourré d’aventures loufoques. On ne s’ennuie jamais, imaginant parfois la joie éprouvée par l’autrice écrivant ces péripéties déjantées après la dure période de confinement.

J’ai trouvé original d’insister autant sur les objets perdus par Maïa, attendant le moment où cela aurait une incidence sur l’intrigue ? Ce jeu du chat et de la souris, de l’autrice et du lecteur, sans complexité surplombante, me plaît énormément. Curieusement j’ai fait ensuite le décompte, vêtements, écharpes, gants, livres et autres objets que j’avais personnellement égarés… La liste était bien remplie… Je me demande comme Maïa : comment ont-ils pu disparaître ? Où sont-ils ? Sophie Divry sait déclencher l’imaginaire, nous sortir gentiment du réel et jouer avec le mystère.

Puis cela se poursuit crescendo jusqu’à la belle histoire d’amour. Clap de fin presque à regret, j’aurais encore joué un peu malgré ces cinq cents pages qui passent toutes seules. Ce roman est un hymne à la joie d’être en vie et d’aimer, une réflexion aussi, à travers le pur plaisir de tourner les pages, sur la souffrance au travail, les addictions, la crainte de voir la recherche fondamentale livrée au seul profit, nos peurs à l’allure de compacteuse…

Sophie Divry est née à Montpellier en 1979 et vit actuellement à Lyon. Après des études de Lettres, elle travaille comme journaliste, entre 2004 et 2010, au mensuel La Décroissance. Depuis elle publie régulièrement des romans et des essais, s’interrogeant sur comment réinventer le roman contemporain, témoignant sur les gilets jaunes victimes de violences policière ou encore se tournant vers les étoiles (Curiosity), une brève fiction sans être humain, mettant en scène un robot envoyé sur mars.

Et vous ? Perdez-vous souvent mystérieusement des objets ? Je veux tout savoir…

Citations :

« J’ai déjà été traité de collabo et de salopard… Les filles sont traitées de salopes et de mal baisées. On entend aussi beaucoup d’histoires de couilles : Vous nous cassez les couilles, Je m’en bats les couilles, Vous n’avez pas de couilles… Les patrons déversent sur nous une colère longtemps accumulée. Contre l’instituteur qui les humiliés, contre le flic qui leur a mis une amende sur la route, contre le facteur qui n’a pas déposé leur colis, contre le maire et que sais-je encore. En tant que fonctionnaire je prends pour l’ensemble. Mais je reste impassible. Quand je contrôle, l’État c’est moi. C’est gratifiant. »

« Henri est athée comme une souche mais beaucoup plus chrétien que moi par certains aspects. Il ne juge pas. Il ne juge personne. Il accepte son prochain tel qu’il est. Il est généreux. »

« Maïa aimait l’entendre parler de physique, Florence aussi la trouvait passionnante. Elles avaient longtemps discuté toutes les trois, et l’interview s’était terminée par cette envolée superbe ; « Au-delà du boson, ce qu’on fait ici, c’est poser cette question fondamentale : pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien ? »

« Notre cœur, non pas ce muscle qui nous sert à nous lever chaque jour, mais notre cœur vivant, est comme une ville où coexiste des ruines de différentes époques, des vestiges du couple idéal, des vieilles bâtisses de l’enfance, des amitiés Art déco et d’autres structures oubliées. Notre cœur est fait d’embarcadères et de ruines, mais parmi ces ruines accostent et se construisent jour après jour des sentiments nouveaux, car aucune ville ne reste figée dans la forme où on l’a connue ; aucune ville, ni le cœur des passants. Maïa cherchait Bastien. »

Notes avis Bibliofeel, mars 2024, Sophie Divry, Fantastique histoire d’amour

16 commentaires sur “Sophie DIVRY, Fantastique histoire d’amour

    1. On est parfaitement d’accord. Ce roman est bien construit et bien écrit, un scénario inventif… Je l’ai lu dans le cadre du Prix Orange auquel je participe en tant que juré. Je ne serais pas étonné qu’il soit dans la liste des 20 romans de la première sélection mardi prochain…

      J’aime

Répondre à Marie GILLET Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.