Éditions Zulma 2007, et 2022 pour la présente édition Zulma poche
304 pages
J’avais envie de lire un Maltus Malte. Alors quand la libraire de l’Ancrier m’a proposé ce petit livre, avec sa magnifique couverture graphique Zulma, je n’ai pas été long à faire mon choix. Vous ne connaissez peut-être pas cette librairie ? Pas surprenant. Elle vogue immobile sur le canal latéral de la Garonne dans la petite ville de Moissac (82). En fait, L’Ancrier est une librairie flottante, un lieu atypique établi à bord d’un ancien bateau à passagers, une belle petite péniche parfaitement rénovée. Un espace extérieur à l’ombre des platanes est dédié aux événements (rencontres, lecture, ateliers) et à la dégustation de thés et cafés. A l’intérieur on y découvre des merveilles, dont ce Garden of love ramené à terre ferme et dans lequel je me suis perdu avec délice.

Alexandre Astrid, un flic sur la touche, reçoit par la poste un manuscrit diabolique d’un auteur anonyme. Le titre : Garden of love. Stupéfait, il retrouve au fil des pages des morceaux de sa propre vie, dévoilée, brouillée, détruite. Son combat va se situer à la jonction du passé et du présent, entre raison diffuse et folie envahissante. Il m’a fallu comme lui redoubler d’efforts pour démêler vérités et mensonges, retrouver mon chemin dans ce labyrinthe de mots, repérer petit à petit l’étincelle de raison, Graal à atteindre au milieu de tous ces pièges tendus.
Fort heureusement, Alexandre Astrid a une intelligence hors norme, au moins égale à celle de son bourreau, et il a cessé de boire, ce qui rend le combat plus équilibré. Il résiste, il sent qu’il peut gagner, surtout après avoir retrouvé Marie, la fidèle Marie qui l’a déjà sorti de ses tentations d’en finir et qui, par son métier de documentaliste, va pouvoir l’assister.
Ici j’ai placé Pavane de Gabriel Fauré (chœur de Radio France dirigé par Martina Batic).
Alexandre dans Garden of love : « J’ai senti les larmes inonder mes joues. Un flot tiède et lent et continu. Libérant la place pour quelques chose qui ressemblait à la paix. Les bulles de Schubert. Les chœurs de Fauré. »
Ce qui m’a intéressé ? La forme du récit, totalement inhabituelle, il m’a fallu quelques chapitres pour trouver mes marques et ensuite ce n’était que du plaisir de lecture. Marcus Malte est un conteur qui sait attirer et retenir le lecteur dans ses phrases. On remonte le cours des évènements à partir du récit d’Alexandre et à partir d’extraits du manuscrit. Impression d’être jeté dans une galerie de glaces, sans trop savoir qui parle, qui ment, qui dit la vérité. Le premier chapitre est un modèle du genre (extrait du journal de Florence, mais ça on le comprend après, bon, je n’ai rien dit…) : Titi Carmona arrive chez une fille accompagné de trois hommes. On ne sait pas s’il s’agit d’un rendez-vous amoureux ? Quelques paragraphes plus tard on comprend que ce n’est pas du tout ça… Va-t-on suivre cette jeune femme tentant de garder le contrôle parmi ces hommes plutôt inquiétants ? On attend la suite, l’ambiguïté et le plaisir de lecture sont bien en place. Le deuxième chapitre semble sans rapport avec le premier et puis un autre ensuite comme une succession d’histoires différentes. A ce stade on persiste ou on referme le livre. J’ai persisté et ne le regrette pas, les différents fils de trame (les histoires sont issues d’auteurs différents, existants ou pas…) vont être tissés et devenir un tableau merveilleux de finesse psychologique, n’excluant pas l’action et surtout pas la réflexion.
On a le récit au présent d’Alexandre intercalé aux extraits des carnets d’Ariel ou de ceux des carnets verts de Florence qui aiment « Étaler leur âme et leurs entrailles sur le papier ». Effet kaléidoscope garanti.
Le flic se laisse entraîner par la personnalité troublante du criminel qu’il piste, au point de tomber sous sa coupe lorsque sa vie familiale prend un tour tragique. Soumis à l’addiction alcoolique, il se retrouve fasciné par un mythomane, schizophrène, psychopathe… Qui, lui même, semble fasciné par le flic, trouvant un défi à la mesure de son intelligence et de sa perversité, et cherchant une possibilité de se dédouaner de ses propres actions.
Ce qui m’a fait réfléchir ? Le parcours psychique du personnage. La leçon de vie distillée petit à petit à travers l’expérience douloureuse d’Alexandre. Petit aperçu :
« Alors qu’est-ce qu’il faut faire ? On laisse le jardin de l’Amour devenir un cimetière ? On regarde pousser les tombes, encore et encore. Uniquement ça. Des tombes à perte de vue. On erre comme des fantômes, au milieu d’autres fantômes, jusqu’à ce que la nuit ait tout recouvert ? On continue à mépriser la vie ?… Ou bien on prend les quelques précieuses graines qui demeurent et on sème. On sème. Lentement. Patiemment. Et on arrose avec l’espoir de voir surgir de nouvelles fleurs, qui ne remplaceront pas les anciennes, qui ne feront pas disparaître les sépultures, mais qui orneront et leur rendront au moins l’hommage qu’elles méritent. »
Apparaît alors une sorte d’étude sur le pouvoir du récit, un combat d’une interprétation contre une autre. Deux personnages s’affrontent, le premier n’est pas certain de gagner, le second, avec ses crimes, ses mensonges, son isolement délétère, peut aller rapidement à sa perte…
L’auteur du manuscrit transmis est celui qui distribue les cartes, le flic se bat pour retrouver la réalité enfouie dans des récits fabriqués, de là à en conclure qu’il faut se méfier de ce qu’on lit, prendre le temps de bien réfléchir à nos lectures ? Est-ce qu’on le fait assez alors que l’injonction sociale est de réaliser du chiffre, se fixer des objectifs de livres lus (de la dernière rentrée littéraire de préférence…), d’augmenter le nombre d’abonnés, de likes ?
Voici un roman étonnant qui commence comme un « roman de gare » et qui se termine en objet littéraire questionnant les récits avec les mensonges et perversités qui peuvent s’y cacher… C’est vertigineux et intéressant, vous ne trouvez pas ?
Notes avis Bibliofeel, septembre 2024, Marcus Malte, Garden of love



Les fleurs de la photo, sur lesquelles repose le livre sont très belles !
J’aimeAimé par 1 personne
Merci. Ce sont les superbes gazanias du jardin !
J’aimeJ’aime
Passionnant de lire un passionné qui s’exprime aussi bien. Ce bouquin-ci, l’article, me console de ne pas avoir ce bouquin-là en main. Promis: s’il croise mon chemin, je l’achèterai.
J’aimeAimé par 2 personnes
Merci pour votre retour qui me comble… et me met une sacré pression pour les prochaines chroniques. C’est un plaisir également de lire vos articles inventifs et remplis de bonne humeur, un bien tellement précieux.
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai découvert l’auteur avec ce titre, qui m’a beaucoup plu par son originalité et son atmosphère étrange, vénéneuse…
Et quelle magnifique librairie !
J’aimeAimé par 1 personne
C’est tout à fait cela… C’était les vacances d’été avec des souvenirs littéraires forts…
J’aimeJ’aime
Une librairie flottante ! Mais quelle merveille…. Cela fait rêver !
Pas encore lu ce Marcus Malte.
J’aimeAimé par 1 personne
Mon roman préféré de l’auteur.
J’aimeAimé par 1 personne
Je ne vais pas oser en lire d’autres car moi aussi, il m’a impressionné 😊
J’aimeAimé par 1 personne