Eva Björg ÆGISDÓTTIR, Les filles qui mentent

Traduit de l’islandais par Jean-Christophe Salaün.

Éditions Points, publié en avril 2023

432 pages

Deux éléments pour présenter cette dernière lecture d’avant Noël. Tout d’abord dire que ce n’est pas un roman policier parmi d’autres mais bien un roman remarquable, qui vaut par ses personnages et par sa construction. Ensuite mentionner l’excellente traduction – ce qui signifie pour moi qui ne connaît rien à l’islandais, un texte français fluide et cohérent.

Les personnages sont parfaitement campés dès le départ même s’il faut s’adapter aux noms islandais… Avec l’impression de débarquer sur une autre planète. Pour moi, il n’a pas été simple de retenir sans erreur le nom de l’autrice. Quand des amis m’ont proposé ce livre, j’ai accepté immédiatement, pensant être en présence de l’autrice présentée comme la reine du roman islandais, je veux parler de Auður Ava Ólafsdóttir. Entre les accents, le D barré et E dans A, il faut un peu d’attention pour s’y retrouver. La vague ressemblance entre les deux noms réside dans cette terminaison en « dóttir ». Une note du livre mentionne que la plupart des islandais n’ont pas de nom de famille mais un patronyme construit généralement avec le prénom du père suivi du suffixe – son (fils) ou –dóttir (fille). Dans de rares cas on utilise le prénom de la mère. On sait ainsi que Eva Björg Ægisdóttir signifie « Eva Björg, la fille de Ægis ». Quand on sait cela, on entre un peu plus en contact avec l’autrice et ses personnages afin de déguster ce beau roman nordique.

Une fois les noms maîtrisés, ce qui n’est pas si difficile, les personnages n’étant pas trop nombreux, on peut profiter pleinement du talent de l’autrice. La carte des lieux parcourus (la partie ouest entre Reykjavík et le volcan Grábrók), présente au début du roman est particulièrement utile pour suivre l’enquête et s’imprégner de la beauté des paysages masquant ici une réalité bien plus sombre.

Je ne dois pas en dire trop sur l’intrigue car il faut absolument conserver les surprises préparées par cette autrice prodige. Elma est une jeune inspectrice de la brigade criminelle d’Akranes, un petit village au nord de la capitale Reykjavik. Le corps d’une femme a été retrouvé dans une grotte du champ de lave. Elma et son équipe se retrouvent en charge de l’enquête. Cette femme est identifiée comme la mère célibataire qui avait disparu il y a sept mois, ne laissant qu’un simple mot sur la table de la cuisine. Selon les premières observations, elle a été battue à mort et abandonnée là…

Pas d’alcool, pas de déprime, pas de conflits entre les agents de l’équipe policière, mais beaucoup de bienveillance, d’entraide, ce qui n’est pas si souvent le cas dans les polars que j’ai lus… De l’efficacité aussi dans cette enquête difficile avançant pas à pas. La construction est remarquable, alternant le récit d’une fille-mère en flash-back, et le récit de l’enquête menée par Elma et ses collègues. Je me suis pris au jeu, admiratif du procédé jusqu’aux révélations finales, si bien amenées. Le rideau se lève et la vérité du meurtre apparaît dans la lumière crue, dans une sorte d’évidence que je n’avais pas anticipé, content du tour de passe-passe. Du grand art littéraire !

On navigue entre préjugés et mensonges adolescents, problèmes liés à l’adoption, difficultés du statut des mères célibataires, sans jugement, simplement en immersion dans un quotidien étouffant amplifié par de lourds secrets trop longtemps gardés. Les blessures de chacun sont relatées. Elles sont simplement plus importantes chez certains, expliquant le passage à l’acte violent. J’ai aimé voir toutes les facettes de la vie des policiers et de tous les personnages présentés ici. Se joue entre Elma et son collègue Saevar, un rapprochement ambiguë, promesse et risque mêlés existant dans toute histoire d’amour.

« Elma leva les yeux au ciel. Il fallait qu’elle cesse de le prendre autant au sérieux. Il éprouvait un malin plaisir à la provoquer, et souvent elle mettait trop de temps à remarquer l’étincelle d’ironie dans son regard. »

Cette autrice a une maîtrise qui force l’admiration. Elma a sa vie faite de relations avec sa sœur, ses parents, son collègue Saevar et son supérieur Hördur. Leur travail n’est qu’un élément de leur vie qui impacte en retour également les enquêtes. Les détails du quotidien nous les rend proches. Voici un roman policier total, complexe, réaliste… Par exemple quand la mère célibataire, un peu perdue dans ses difficultés quotidiennes, doit apporter à manger à la fête de l’école.

« N’ayant pas eu le temps de cuisiner, j’ai acheté des petits pains recouverts de glaçage hors de prix à la boulangerie en rentrant du travail. Si je les dispose dans un panier, je pourrai prétendre les avoir réalisés moi-même. »

Eva Björg Ægisdottir est née à Akranes en 1988 et vit à Reykjavik. Elma, son premier roman, publié en France en 2021, est devenu un best-seller en Islande et également en France avec un tirage important dépassant les cent mille exemplaires. Je me réjouis déjà de le lire et de suivre cette autrice tout comme j’ai lu pendant des années Gunnar Staalesen, un autre auteur nordique fameux, dont les romans remarquables sont imprégnés de sociologie et de psychologie, estompant la frontière entre roman et roman policier…

Bon Noël à tous ! Peut-être avec quelques livres au pied du sapin ?

Notes avis Bibliofeel, décembre 2024, Eva Björg Ægisdóttir, Les filles qui mentent

14 commentaires sur “Eva Björg ÆGISDÓTTIR, Les filles qui mentent

    1. Oui, je crois qu’il s’agit du premier… On se fait aux noms bien entendu, à condition de faire un effort au début. C’est ce que j’aime, sortir de mon périmètre habituel. J’ai acheté le tome 3 de cette série. Titre « Les garçons qui brûlent ». Bonnes fêtes et belles lectures !

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  1. ah un autre auteur islandais pour completer ma collection (récupérée en partie de la collection de feu ma mère qui adorait les auteurs islandais et leur polars prétextes à une analyse fine de la société islandaise (et pas que). Je note je ne la connais pas celle-ci.

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    1. Bonjour Michusa et merci pour le message ! Je te le recommande vraiment. Je l’ai trouvé excellent. J’ai lu depuis, le tome 3 de la trilogie « Les enfants qui brûlent », qui m’a plu sauf la fin… Je lirai bientôt le 1 « Emma » pour compléter cette belle découverte. Belle journée !

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