Renaud XUOTRA, Some days in Boukanda

Édition L’Harmattan, collection Écrire l’Afrique, 2020

Brice Monet Padilha est un jeune journaliste engagé qui milite avec sa plume. Fils d’un diplomate brésilien et d’une Française qui enseigne à Rio de Janeiro, il a passé une enfance dorée au Nigeria puis au Mozambique où son père était affecté. Revenu étudier au Brésil il s’est heurté à la décomposition violente du pays en 2018 avec l’ascension vers le pouvoir de Bolsonaro. Ce n’est pas le moindre intérêt du récit que d’aborder l’actualité des dernières années !

Brice rêve d’aventure et voudrait fuir le paupérisme et les inégalités.

« A une certaine époque j’aurais assisté le Che au Congo ou en Bolivie. Or l’époque actuelle manque de guides, de gens à suivre, de lueurs d’espoir. Les combats sont à mener mais les héros rapidement discrédités ou réduits au silence. »

Après quelques recherches, il apprend qu’un petit pays d’Afrique, en pleine révolution, cherche des volontaires du monde entier pour participer aux efforts progressistes déployés par la jeune nation. Il envoie son dossier de candidature et reçoit une réponse positive. Il s’embarque alors pour rejoindre la République populaire de Boukanda situé au carrefour du Soudan du Sud, de l’Ouganda, de l’Éthiopie et du Kenya. L’atterrissage a lieu à l’aéroport Marcus Garvey de Babakou, la capitale.

Inutile de chercher ces lieux, ce que je me suis empressé de faire bien entendu, car on entre dans la fiction. Cette zone connaît effectivement beaucoup de conflits et d’instabilité mais il n’existe ni de pays Boukanda, ni de ville de Babakou, pas plus que de président Ali (sorte de double de Thomas Sankara).

Au passage j’ai découvert Lucky Dube et Papa Wenba, des musiciens emblématiques, des voix singulières de l’Afrique.
Papa Wemba interprète ici « Yolele »

J’ai trouvé très habile de la part de Renaud Xuotra d’utiliser cet artifice qui lui a laissé les mains libres pour la suite du récit d’aventure. C’est tellement bien mené qu’on distingue facilement ce qui est fictif de tout ce qui est bien réel, notamment les références à des personnages ayant existé, à l’histoire du continent africain, à la musique, à la vie locale, cuisine, faune et flore… Des mots m’ont charmé par leur sonorité et leur signification : le jab, un bokit, évasané… Autant de petites recherches enrichissantes.

Sans dévoiler la suite de l’histoire, cela va vite devenir compliqué pour le jeune président Ali, pour ses désirs de justice, de développement du pays et s’avérer par conséquent dangereux pour Brice et ses amis « volontaires en Boukanda ». Il va être rapidement fragilisé par la pression de l’ancien régime, toujours soutenu par les occidentaux et leurs alliés dans la région. Suite vraisemblable car maintes fois observée depuis la décolonisation. Il se tourne alors vers Pékin qui cherchera à défendre ses propres intérêts. Brice souhaitait de l’aventure, il va être servi et le lecteur ne s’ennuiera pas, happé par la succession de rebondissements sans oublier une belle dose d’amour, dans le personnage de Maria, d’amitié également avec Mourad, comme il est intéressant de trouver dans tout bon roman.

Renaud Xuotra a fait des études en Institut d’Études Politiques et a vécu dans plusieurs contrées d’Afrique. Voilà pourquoi ce livre est si bien documenté et totalement ancré dans la réalité géopolitique. On y apprend une foule de choses intéressantes et originales. Sur la Bataille d’Adoua en Éthiopie par exemple. En 1896, en plein partage de l’Afrique, une nation africaine était victorieuse d’une puissance européenne, le royaume d’Italie en l’occurrence, un fait majeur de l’histoire continentale. Le récit est parsemé de renseignements sur l’histoire de plusieurs pays africains, preuve que leur histoire n’a évidemment pas débuté avec l’arrivée des colonisateurs. Le drame de ce continent est de regorger de richesses attirant bien des convoitises :

« Le mot a été lâché : le coltan. Indispensable à la fabrication de composants électriques, notamment pour les téléphones portables, il est au cœur de la guerre en République démocratique du Congo, certainement le conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale. Les États, les sociétés commerciales, les milices, les armées régulières, les mafias, tout le monde est plus ou moins impliqué dans ce trafic extrêmement lucratif. »

En cette période de covid et d’information morcelées, souvent difficiles ou impossibles à recoller pour former une analyse sérieuse, voici un livre qui ouvre sur le monde. Certes le propos est désabusé mais illustre bien une époque en panne d’utopie et de récits à construire ensemble. La couverture dans une belle couleur ocre est très réussie avec ce regard du voyageur dans le train regardant défiler un paysage africain que l’on devine superbe. Il y a bien quelques coquilles dans le texte mais facilement pardonnées puisque le livre est bon.

L’auteur évolue professionnellement dans l’associatif. Il est l’administrateur du superbe blog Afropoésie. « Some days in Boukanda » est son premier roman d’aventure. Je vous en conseille la lecture. J’ai adoré le style et le ton du livre et j’attends de découvrir au plus vite un nouveau livre de cet écrivain prometteur – autant certains livres sont pesants par le nombre de page et par le propos, autant j’aurais aimé avoir plus des 129 pages tellement j’étais bien parti dans cette histoire.

Ce fut une belle expérience pour moi d’être contacté par l’auteur pour la lecture et avis sur ce roman. Merci à Renaud Xuotra et merci aux éditions l’Harmattan pour l’envoi de ce livre remarquable.

Visitez le « blog Afropoésie » si ce n’est pas déjà fait, site destiné « au stockage et à la diffusion de poèmes du monde « afro » (mais aussi de poèmes qui traitent de cette zone culturelle très large et diverse). » Il le mérite et j’ai pour ma part découvert et partagé plusieurs fois des textes passionnants.

Notes avis Bibliofeel octobre 2020, Renaud Xuotra, Some days in Boukanda

11 commentaires sur “Renaud XUOTRA, Some days in Boukanda

  1. Bonjour Bibliofeel.

    Merci infiniment pour cette magnifique critique, objective et bienveillante à la fois, qui donne du baume au cœur à l’auteur.
    Content de pouvoir partager, échanger et d’être confronté à l’œil de l’autre. Surtout lorsque ce dernier est aiguisé.
    Bravo pour votre travail au quotidien !

    Amicalement,

    Renaud Xuotra

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  2. J’ai été très surprise de voir que ce livre comptait aussi « peu » de pages tant cette chronique donne à voir un ouvrage riche et relativement complexe (pas forcément dans sa structure, mais dans son contenu)… Merci pour cette découverte !

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    1. Oui c’est exact. Je trouve que c’est cela un livre réussi. Pas surprenant que cet auteur ait auparavant écrit un recueil de poésie car cela apprend à mettre du poids, de la culture et de l’imaginaire dans les mots…

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  3. Je n’avais encore pas entendu parler de ce livre mais il me tente beaucoup. Je rejoins un précédent commentaire, j’ai été ébahie par le nombre de pages alors que beaucoup de thèmes semblent abordés.

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  4. Excellent article pour la qualité d’écriture et le contenu. Le continent africain est ravagé par les guerres liées à la richesse du sous sol. Je ne connaissais pas ce materiau, le coltan nécessaire à nos téléphones portables et qui crée des ravages sur place, tout comme les matériaux pour nos voitures électriques, etc…
    Nous sommes indirectement créateurs de conflits…
    Sans renoncer à cette technologie, nous pouvons envisager des produits plus durables et vraiment recyclables comme le fairphone 3.
    J’aime comme toi cette Afrique et leurs habitants si spontanés et généreux. Laissons leur une chance de transformer leur géniale créativité en espoir d’un meilleur avenir fait de paix et de prospérité alimentaire et sociale.
    Merci pour tes articles qui donnent envie de lire et qui valorisent les auteurs.
    Alan

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