Lu dans l’édition Denoël septembre 2004, Prix Renaudot 2004
Et nouvelle version, éditions Denoël, novembre 2020

Irène Némirovsky a écrit Suite française à la fin de sa courte vie – elle est morte à 39 ans à Auschwitz –. Le manuscrit n’a été retrouvé et publié qu’en 2004. Ensuite, toute l’œuvre de cette autrice a été petit à petit redécouverte. J’ai présenté dernièrement sur ce blog le passionnant recueil, Les vierges et autres nouvelles, en partie autobiographique.
Cette édition d’origine de Suite française est précieuse par l’excellente introduction de Myriam Anissimov et du dossier de notes de l’autrice ainsi que des correspondances 1936-1945 permettant de mieux comprendre l’œuvre.
Irène Némirovsky se trouve aujourd’hui sous les feux de la rampe : plusieurs biographies, des dizaines de traductions, des millions de livres vendus, trois films et de nombreuses pièces de théâtre tirés de ses romans. Une nouvelle version remaniée – selon une dactylographie enregistrée à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC) de cette Suite française vient même de paraître en novembre 2020, avec la première partie, Tempête en juin, corrigée par l’autrice et son mari. Lire à ce sujet la préface d’Olivier Philipponnat de cette nouvelle version : [sur ce lien]
Devenu un véritable classique du XXème siècle, ce roman a fait l’objet de bien des polémiques – du fait notamment de l’absence directe d’analyse et de révolte par rapport à la situation. Cela me fait penser à un autre classique du XXème siècle, 1984 de George Orwell qui, sur un tout autre sujet, a suscité et suscite encore de multiples interrogations, interprétations, critiques ou récupérations.
En exergue, voici ce que dit sa fille Denise Epstein – ce serait par elle que le premier manuscrit a pu refaire surface :
« Sur les traces de ma mère et de mon père, pour ma sœur Élisabeth Gille, pour mes enfants et petits-enfants, cette Mémoire à transmettre, et pour tous ceux qui ont connu et connaissent encore aujourd’hui le drame de l’intolérance. »
Une première partie, Tempête en juin, où elle décrit la débâcle de juin 1940, sorte de tableaux de la panique à l’annonce de l’arrivée des allemands et de l’exode, ceci dans différents milieux.
La deuxième partie, romanesque, intitulée Dolce, a pour sujet la confrontation de la population française avec l’occupant. Le récit se termine en juin 1941 – elle n’aura pas le temps de rédiger les trois autres parties prévues, Captivité, Batailles et Paix, étant arrêtée en 1942 par la police française et déportée en raison de ses origines juives –. Les personnages sont bien décrits et très vraisemblables. L’autrice dépeint ce qu’elle voit, très fidèlement, notant les lâchetés, l’hypocrisie et l’égoïsme tel qu’elle les observe. Grands bourgeois dégoûtés par la populace et tentant de sauver leurs bibelots, amant pressé de quitter Paris en famille et pour cela larguant vite fait sa maîtresse, curé convoyant des orphelins, officier allemand cultivé hébergé dans une maison bourgeoise, tentant de séduire la belle fille sous les yeux de sa belle-mère. Le tout constituant une fresque réaliste passionnante de l’époque.
Dans ce contexte, les rapports des allemands et des français ne sont pas décrits comme particulièrement terribles. Le sort terrifiant des déportés juifs n’était pas connu à cette époque, sinon Irène Némirovsky aurait-elle pu écrire ce livre de la même façon ? En a-t-elle trop vu depuis la révolution russe qu’elle a vécue directement ainsi que la fuite définitive de son pays ? Introspection pour continuer à vivre face à une enfance malheureuse, des parents riches et égoïstes ? Elle ne juge pas, elle ne se révolte pas si ce n’est dans le mordant de l’écriture !
« D’autre part, la situation de M. Péricand, conservateur d’un des musée nationaux, les liait à un régime qui versait honneurs et profits à ses serviteurs. Un chat tenait avec circonspection entre ses dents aiguës un morceau de poisson parsemé d’arêtes : l’avaler lui faisait peur, le cracher lui donnerait des regrets. »
Ce qu’elle écrit c’est simplement l’effet des évènements sur chaque personnage, le formidable écho des frictions des destins individuels avec les destins communautaires, les réactions de l’homme face à la tragédie et non les faits en eux-mêmes. L’attention d’Irène Némirovsky ne porte pas sur l’Histoire, mais plutôt sur les comportements humains. Honoré de Balzac ne procédait-t-il pas de cette façon ?
Les notes et la correspondance en fin de volume sont très intéressantes. Son mari dans l’illusion de la faire libérer argumente sur leur conversion au catholicisme, sur l’antibolchevisme notoire de leur famille (ils ont fui la Russie après la révolution d’octobre). Sans succès…, il sera lui aussi déporté à son tour le 6 novembre 1942 et ne reviendra pas. Les gendarmes ont continué à rechercher ses deux fillettes. Elles passeront plusieurs mois cachées dans la région de Bordeaux. Leur grand-mère avait passé la guerre à Nice dans le plus grand confort. Drôle de milieu et pas étonnant de retrouver ironie et pessimisme chez Irène Némirovsky. C’est un témoignage exceptionnel, par une conteuse de talent, une Suite française que je vous invite à découvrir, de préférence dans l’édition 2004.
Notes avis Bibliofeel février 2021, Irène Némirovsky, Suite française
je note précieusement cette prochaine lecture:)))
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J’espère que cela te plaira !
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Je viens de la découvrir avec Jezabel que j’ai beaucoup aimé et je viens de me procurer Le bal…. Je sais que la suite française est a la b
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J’ai encore envie de découvrir d’autres titres de cette autrice, peut-être Jezabel et le bal. Merci pour la suggestion 🙂
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J’ai lu les deux. De belles lectures. Merci Alain !
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A la bibliothèque avec l’adaptation cinématographique 😉
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Je n’ai pas vu cette adaptation cinématographique, trop peur d’être déçu au vu d’une œuvre
complexe qui demande réflexion et recul. D’ailleurs toute la presse ou presque avait jugé ce film assez insignifiant et pas à la hauteur du livre ! Je me fie peu aux critiques mais je pense que si c’est un roman historique majeur c’est certainement un mauvais scénario de film.
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Un témoignage précieux, oui, car comme vous le dites dénué de tout recul historique, et reconstituant donc parfaitement la complexité humaine du contexte.
Ingannmic (https://bookin-ingannmic.blogspot.com/)
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Tout à fait. Une œuvre complexe qui demande de l’attention, de prendre la mesure de cette vie à la fois dans les étoiles et dans l’ignoble génocide de la Shoah. En parler dans la tolérance et dans l’écoute, c’est bien le moins que l’on puisse faire. Merci pour ta lecture et commentaire !
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Je l’avais lu lors de sa découverte, il y a quelques années, et j’avais été déçue parce qu’il était inaboutie, forcément.
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C’est le premier que j’ai lu, celui-ci d’ailleurs, et j’en garde un souvenir fort. Quelle écriture. dommage qu’elle n’ait jamais pu écrire la suite. Depuis j’en ai lu et aimé beaucoup, le bal par exemple, quel bijou
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Merci pour la suggestion, c’est un titre que je lirai !
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