Paul AUSTER, Brooklyn follies

Roman traduit de l’américain par Christine Le Bœuf

Éditions Actes Sud, collection Babel publié en février 2007

368 pages

Je rencontre à nouveau Paul Auster après un Moon palace lu avec grand plaisir. Ici mon enthousiasme grimpe à des sommets. Blooklyn follies est une lecture addictive comme je les aime, ancrée au cœur du quartier de Brooklyn, véritable personnage à part entière de l’œuvre de Paul Auster. Dans Moon palace, c’était le quartier du musée où Fogg devait se rendre sur ordre de Thomas Effing, là où avait été enterré son ami Pavel Shum après que ce dernier se soit fait renverser par une voiture sur Broadway.

Les Brooklyn follies se déroulent essentiellement au New jersey et à Brooklyn où habite Rachel (le fille de Nathan) et où a vécu Nathan, le personnage principal du récit… et Paul Auster lui-même (il y est décédé le 30 avril 2024). L’auteur évoque ainsi l’origine de sa famille avec des grands-parents issus de l’Europe centrale et de l’est. Ces quartiers, occupés jusqu’aux années 70 par des immigrants sans le sou, ont bien changé sous le poids énorme de « machines et d’argent ».

Les premières pages doivent être lues avec attention afin de bien enregistrer les protagonistes, ensuite les péripéties s’enchaînent. Paul Auster a la capacité de régaler le lecteur, les mots coulent dans un flot régulier, alternant les températures et les émotions. Les digressions participent à la recherche de vérité, celle du romancier liant les phrases entre elles, reprenant ou contredisant la phrase précédente pour donner du rythme. L’œuvre est parfaitement maîtrisée sur le fond et sur la forme.

Nathan est un héros fatigué, occupé à enquêter sur notre bien le plus précieux : la vie, la condition humaine. J’ai pensé à ces inspecteurs plus ou moins dépressifs de nombreux romans policiers. Il a la soixantaine fatiguée après une carrière à Manhattan dans une compagnie d’assurance. Un divorce et un cancer en rémission ont chargé la barque. Fâché pour des broutilles avec sa fille Rachel, il se résout à lui envoyer un cadeau et une lettre pour renouer le contact. C’est un homme bienveillant, soucieux de l’autre, essayant en permanence de recoudre ce que le temps, les aléas peuvent déchirer. Son neveu Tom, retrouvé dans une librairie, n’est pas au mieux… Nathan l’apprécie beaucoup et l’aide à prendre un nouveau départ, il est aussi une source d’inspiration pour le livre qu’il écrit. Tom est amoureux, sans oser l’approcher, de celle qu’il a baptisé la JMS, Jeune Mère Sublime. Ce sont des pages magnifiques peignant la maternité, la féminité et le renouveau par l’enfance heureuse.

Dans cette famille éclatée, il y a aussi la sœur de Tom, Aurore dite Rory, mariée avec un fanatique religieux… Rory a une fille, Lucie, qu’elle envoie avec quelques dollars en poche rejoindre son frère Tom. Lucie débarque dans leur vie comme un vent de fraîcheur et de folie créatrice.

Le hasard est souvent mis en avant chez Paul Auster… Je trouve qu’il est avant tout un écrivain de la lucidité, de l’intervention, à rebours d’un cynisme de façade. J’ai adoré la relation qu’il entretient avec sa fille Rachel. Quand celle-ci se pose mille questions concernant la fidélité de Terence, il use de tous les arguments pour donner un espoir au couple en plein doute. J’ai apprécié son regard chargé d’humanité sur Lucie, enfant traumatisée et fantasque qu’il prend sous son aile.

L’œuvre va bien au-delà des sentiments familiaux, l’auteur s’exprimant sur l’écriture et sur l’Amérique avec le désastre des élections de l’année 2000, rappelant que déjà à cette époque les Républicains avaient contesté les résultats du scrutin en Floride et manipulé la Cour suprême. L’échange avec le mari de Rory, le fanatique religieux, est digne des meilleures sorties de Woody Allen. Il appartient à la minuscule Église du Verbe sacré, nom bien choisi. Celui-ci demande à Nathan s’il connaît l’Évangile… « Dans une certaine mesure. Pour un juif qui ne croit pas en dieu, mieux que la plupart […] Tous les juifs sont athées. Sauf ceux qui ne le sont pas, bien entendu. Mais je n’ai pas grand-chose à faire avec eux. »

Ce Nathan semble bien être un double de l’auteur, à moins que ce ne soit aussi Tom (ou encore la JMS…). L’un et l’autre écrivent, Tom est un écrivain ayant abandonné l’écriture, Nathan s’accroche à écrire Le livre de la folie humaine.

« Cela commença par un commentaire sur Le Livre de la folie humaine, ma minable dérisoire œuvre en cours. Il voulait savoir comment elle avançait et quand je lui dis que je fonçais droit devant moi sans apercevoir de fin, que chaque histoire que j’écrivais semblait donner naissance à une autre histoire et puis une autre histoire et puis une autre encore, il l’arsenal de la main droite une claque sur l’épaule en prononçant ce verdict surprenant : « Tu es un écrivain, Nathan. Tu es en train de devenir un véritable écrivain. »

Nathan, soit Paul Auster…, a le pouvoir de créer, entrant dans les détails pour la véracité de l’histoire alors que Harry, patron de la librairie, est attiré par le jeu et l’escroquerie, pour l’aventure et l’argent. J’ai aimé les conseils, non dénués d’humour, donnés par Nathan à Joyce, la mère de la JMS avec qui il a entamé une liaison :

« Essaie d’encaisser les coups en souplesse. Garde la tête haute. N’accepte pas de monnaie de singe. Vote démocrate à toutes les élections. Balade-toi à vélo dans le parc. Rêve de mon corps doré et parfait. Prends des vitamines. Bois huit verres d’eau par jour. Soutiens les Mets. Va beaucoup au cinéma. Ne travaille pas trop au bureau. Viens avec moi faire un séjour à Paris. Viens à l’hôpital quand Rachel aura son bébé, et prends dans tes bras mon petit-fils ou ma petite-fille. Brosse-toi les dents après chaque repas. Ne traverse pas la rue quand le feu est au rouge. Prends le parti des opprimés. Ne te laisse pas faire. Rappelle-toi combien tu es belle. Rappelle-toi combien je t’aime. Bois un scotch on the rocks chaque jour. Respire à fond. Garde les yeux ouverts. Évite les aliments gras. Dors du sommeil du juste. Rappelle-toi combien je t’aime. »

Un récit si bien mené qu’il conserve toute son actualité. A lire sans faute si ce n’est pas déjà fait. J’ai tout à fait envie de me procurer 4321, son plus long roman écrit à 70 ans. Plus de mille pages, 5 ans d’écriture, 4 récits, 4 destins possibles, un livre sur l’Amérique de 1947 à 1970. Inspiré par Montaigne, paraît-il… ce qui me pousse à entreprendre la lecture de ce pavé. L’avez-vous lu ?

Quels romans de Paul Auster avez-vous aimés ?

Notes avis Bibliofeel août 2024, Paul Auster, Brooklyn follies

8 commentaires sur “Paul AUSTER, Brooklyn follies

  1. J’avais aimé ce titre, ainsi que d’autres de l’auteur, mais mon préféré est Le livre des illusions, que j’ai prévu de relire un jour… quant à 4 3 2 1, ce n’est pas vraiment une autobiographie, et je dois avouer que je l’ai trouvé un peu long (et ce n’était pas dû qu’à son grand nombre de pages :).

    J’en profite pour récupérer ton lien (si tu le permets bien sûr) afin de l’ajouter à l’activité que je propose avec Athalie du 15/09 au 15/11, consistant à lire sur le thème de la ville, ce titre rentre parfaitement dans ce cadre (https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2024/09/sous-les-paves-les-pages-saison-3-15.html).

    Bonne soirée !

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    1. Oui bien sûr ! J’ai lu Brooklyn follies cet été mais j’ai attendu le début de votre activité pour publier ma chronique.
      Je note Le livre des illusions. 4 3 2 1 va peut-être attendre… Merci !
      Bonne soirée
      Alain

      J’aime

  2. Bonjour Alain, à une époque (pas si lointaine) je lisais pas mal de Paul Auster. J’ai aimé « la cité de verre », « seul dans le noir », « la nuit de l’oracle » ou encore « moon palace  » que tu as cité. J’espère en découvrir d’autres dans les années à venir et peut-être 4321 dont on a beaucoup parlé. Bonne fin de semaine à toi 🙏 🌞 😊

    Aimé par 1 personne

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