Linda VANDEN BEMDEN, Eddy grandit

Éditions Quadrature, collection Miniatures,

Publié le 10 mars 2025

80 pages

Je découvre cette collection Miniatures de Quadrature avec un texte ciselé qui devrait plaire à toutes et tous, petits et grands. Avec Linda Vanden Bemden, les mots prennent vite leur envol, ça démarre par une épigraphe poétique : « Si seulement nous avions / le courage des oiseaux / qui chantent / dans le vent glacé », extrait d’une chanson de Dominique A.

Ce petit livre qui se lit en un rien de temps est un condensé de magie, un beau petit objet dont les pages sont des ailes permettant de s’évader aux confins des mots et d’approcher l’essentiel.

Un oiseau naissant a chuté du nid et ses jours semblent comptés, sauf qu’il tombe entre de bonnes mains, permettant à l’histoire de se développer, le pronostic évoluant plutôt favorablement. La narratrice, sa mère nourricière, en révèle les progrès incertains ( et bien plus…) au fil des heures. Chaque page a son titre, bien choisi, façon article de presse. Celui « Rien de rien » annonce le choix d’un nom pour l’oiseau, au piaf comme elle l’appelle. Ce sera le piaf Eddy… Ce pourrait être un jeu de mot un peu lourd, cela devient seulement inoubliable et drôle sous la belle plume de Linda Vanden Bemden. « Bis-cui » n’est pas mal non plus, parvenant à mêler recette de gâteau et cris d’oiseau…

En parallèle, la radio annonce la disparition d’un enfant dans le village voisin. Les premières recherches ne donnent rien. L’oiseau et l’enfant se nomment tous deux Eddy : deux destins croisés, dépendants de la bonne volonté des adultes, qui font ce qu’ils peuvent pour les aider à traverser ce départ difficile. Le chat Samantha (« c’est-il » précise-t-elle) et le poney en fait un chien de la taille d’un poney ajoute encore à ces interactions étonnantes, introduisant une dose de fantastique.

Le scénario est original, très original, tutoyant le banal des jours avec une chute particulièrement surprenante, audacieuse, et pour moi, totalement réussie. L’autrice invente le poème-nouvelle ou le roman court, je ne me rappelle pas avoir lu un « truc » pareil !

« Ce matin, l’oiseau a la patate. Il a bien mangé. Il sautille et tente des vols d’essai, mon petit Charles Lindbergh, aviateur de la boite en carton de la chambre bleue ciel. »

Tout est pesé, les mots et ce mini-corps de quatre grammes reprenant des forces, alimenté par les croquettes réhydratées de son meilleur ennemi, le chat Samantha. Cet oiseau de quelques jours est au centre de bien des questions : est-ce une mésange charbonnière, une sittelle, un verdier, un pic-vert, un ramier, un geai, un rouge-queue ? Pourquoi la police vient-t-elle enquêter jusqu’à observer l’oiseau dans sa boîte à chaussure ? Et cette radio qui continue à alimenter l’audience, même si l’enquête de l’enfant disparu n’avance pas.

Et puis il y a Henri, le mari… la note humoristique, véritable fil rouge du récit apportant une chute bienvenue à certaines pages-chapitres. Reflet des petits défauts humains, Henri est tour à tour casanier, pessimiste, ironique et même con parfois. Il peut être clairvoyant de temps en temps. « Henry a un petit cœur » et on sent toute la bienveillance, toute l’affection de la narratrice pour cet être « imparfait ».

La radio est là pour conter la vie du dehors avec son bric-à-brac fait de recettes de cuisine, de météo, de chansons, d’experts de toutes sortes qui parfois « …n’ont rien à dire mais le disent quand même. ». Toujours ce ton léger pour, au fond, parler de sujets plus lourds. Comme le clown qui rit très fort pour cacher une détresse profonde. Comme les poèmes de Jacques Prévert que j’ai tant lus étant gamin, et qui m’ont accompagné sans cesse.

Linda Vanden Bemden a beaucoup de talent. C’est un livre que je vais faire lire autour de moi, un cadeau que je vais offrir car il apporte cette joie des choses dites avec des mots justes, sincères. L’autrice parvient à faire éclore de la beauté là où on ne l’attend pas. Elle trouve une forme singulière pour dire la souffrance du vivant, intrinsèque à la vie mais tellement dépendante de notre attitude face aux autres, surtout les plus fragiles. Ce n’est pas rien d’avoir su lier ainsi le sort d’un oiseau sans aucune défense et celui d’un enfant. J’aurais envie de citer tout le livre tellement les phrases sont sculptées avec grâce.

« Je m’installe derrière l’ordinateur et je tape « aigle ». J’obtiens une pleine page de bottes de la marque éponyme. Je dois faire défiler l’écran bien bas avant d’apercevoir le premier bec crochu. C’est incroyable, même sur internet, on leur rabote leur espace. Bientôt, il n’y aura plus d’aigles, il ne restera que des bottes. »

Un très grand merci aux Éditions Quadrature ainsi qu’à Linda Vanden Bemden pour cette lecture. A conseiller pour ceux qui ont conservé une âme d’enfant, la foi en la gentillesse et en la force de l’amour et de la vie servis ici par l’art des mots. On a rarement su si bien exprimer notre besoin des autres, que notre devenir dépend de l’attention accordée à tous y compris ces êtres différents qui peuplent nos arbres et nos forêts.

Je pense aux mots de André Comte Sponville : « Elle [la vie] est une aventure, un risque, un combat – qui vaut la peine, si nous l’aimons. » « Ce n’est pas le sens qui est aimable, c’est l’amour, parfois, qui fait sens. »

Et vous, cherchez-vous à concilier votre âme d’enfant et votre âme d’adulte à travers la littérature ?

Notes avis Bibliofeel, mars 2025, Linda Vanden Bemden, Eddy grandit

8 commentaires sur “Linda VANDEN BEMDEN, Eddy grandit

    1. C’est pour toi, j’y ai pensé ! Les oiseaux prennent beaucoup de place dans tes poèmes 🐦. Vite lu mais inoubliable et ça fait du bien. Un livre rare et précieux comme tes recueils de poèmes. Belle journée Barbara 🌾

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  1. Le « courage des oiseaux » par grand vent, froidure d’hiver ou sous la pluie, me rend empathique… Et leur joie, cacophonique une fois ou deux, m’enchante. Leur valeur métaphorique des petits enfants disparus ou jouant dans une cour d’école m’apparaît donc logique… Encore une synthèse qui donne envie. Merci.

    Aimé par 1 personne

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