Cécile BAUDIN, La constance de la louve

Publié en mars 2025 en poche aux éditions 10-18, 432 pages

J’aime les épigraphes percutants, mystérieux aussi, surtout pour un roman policier, cela le rend d’autant plus prometteur. « Les institutions passent par trois périodes : celle des services, celle des privilèges, celle des abus. » François-René de Chateaubriand. Des intentions fortes affichées d’emblée, vite oubliées dans l’intensité d’une intrigue redoutable. Elles se rappellent à nous à la fin, quand on prend enfin le temps d’y penser vraiment.

Sacrée performance de réunir ici une aussi forte densité des personnages, des lieux évocateurs, une époque crédible et une intrigue de haut vol, tout cela décliné en quatre saisons, chacune amenant son lot d’évènements. Cécile Baudin est une magicienne ou une bonne fée… de littérature.

Les lieux de l’action : Saint Alban, Langogne… L’autrice précise dans les notes et remerciements : « La reconstitution des villes et de la vie quotidienne s’appuie sur des réalités historiques et des apports bibliographiques, mais de nombreux détails ont dû être imaginés pour donner de la cohérence à l’ensemble. »

Elle nous transporte en plein cœur de la Lozère où Anatole, un étudiant en médecine, a été découvert mort devant l’asile d’aliénés qui l’accueillait en formation. Le juge de paix Victor Chastel, également lieutenant de louveterie traquant les loups dans la région, est chargé par le préfet de dresser un procès-verbal. Bastide, le gendarme, lui indique qu’Anatole est mort de froid à proximité de l’asile pendant la terrible tempête de neige de la nuit. Aidé par Marianne, l’infirmière de l’asile, Chastel découvre des indices troublants et devient vite persuadé que le jeune homme a été victime d’un meurtre. Certains éléments les mènent vers le canton voisin, des mystères surgissent impliquant plusieurs notables.

Tout ce que je peux dire c’est que j’ai été tenu en haleine tout au long de ce volume, les péripéties ne manquent pas sous l’imagination impressionnante de l’autrice. Il serait dommage d’en dire trop, tellement c’est agréable de découvrir par soi-même, avec Victor et Marianne, puis ensuite Victor et Constance, la petite bonne rayonnante d’intelligence qui va assister le juge plus tard. Des assistantes précieuses et des histoires d’amour sacrément bien écrites qui en disent beaucoup sur les rapports hommes-femmes. Tous ces personnages sont parfaitement représentés avec leur passé et leur présent dont le futur adviendra, mélangeant les cartes du destin. Auro est le fidèle compagnon de Victor, un chien-loup qui le suit partout, trait d’union avec la nature dans laquelle son maître se sent en harmonie, plus qu’avec les hommes, dont il a connu le pire auparavant au Canada.

L’ambiance est parfaite pour ce polar historique. La bête du Gévaudan est encore dans toutes les mémoires et les légendes de toutes sortes prolifèrent dans cette campagne isolée surtout en hiver, glaçant le début du roman. Ces quatre saisons de 1835 avec quelques interludes replongeant dans des évènements mystérieux en 1810 et 1811 donnent à voir une période indécise entre l’ancien régime tombé sous les coups de la Révolution, la restauration improbable et une modernité qui se cherche après la révolution de 1830. Une période particulièrement bien rendue dans les pages d’enquête au sein de la filature de la famille Guérin, avec sa grande roue à aubes fonctionnant sur le canal parallèle.

« La jeune femme lui sourit. Elle lui indiqua de la tête un ruisseau artificiel qui creusait le sol, tout au long de la rue, pour s’engouffrer sous la bâtisse en question. – Regardez dit-elle. Pour démultiplier l’effet de la rivière, et pour accueillir plus d’établissements, les manufactures du quartier ont doublé le cours du Langouyrou par ce canal miniature que vous voyez là. C’est lui qui alimente la roue à aubes de notre filature, vous ne l’entendez donc pas ? Et sans attendre de réponse elle poussa la porte de la maison. S’ils ne virent d’abord rien dans l’atmosphère ouateuse, le vacarme qui les accueillit leva leurs derniers doutes. L’ensemble de la construction tremblait littéralement sous le vrombissement permanent des machines. Ils les devinaient au-dessous d’eux, mais également dans les étages supérieurs. Leurs corps eux-mêmes étaient traversés par ces vibrations. Le grondement constant était agrémenté par intermittence de claquements secs, de grincements plaintifs et de sifflements aigus. »

L’écriture est superbe avec des tableaux incroyablement vivants campant avec justesse ces quatre saisons, par exemple l’activité des lavandières à la rivière au printemps avec une minutie dans la description des différentes phases de travail : tri, humidification, pressage avec de la cendre, ajout d’eau bouillante puis percolation pour les buées… Un travail harassant, le travail réservé aux femmes, où les langues se délient… Une belle écriture aussi dans l’enquête, les poursuites, avec guet-apens et tous les rebondissements possibles…

« Le paysage qui s’offrait à Chastel et Constance depuis le haut du pont Neuf ressemblait à un tableau de la Renaissance. Le soleil, levé depuis peu, filtrait sur leur gauche à travers le tamis des nuages. Une poudre orangée atterrissait délicatement sur le pré qui descendait en pente douce vers la rivière, de l’autre côté du pont et de la ville. »

Les thèmes sont nombreux et puissants : la neige, des silences, des choses invisibles ; pas de justicier omniscient mais une équipe mêlant les genres ; des crimes qui en disent beaucoup sur la société de l’époque, avec ses mécanismes où les privilèges de caste sont à l’œuvre… Le mystère du mal, de la mort, du crime et celui du crime suprême, celui de la guerre s’invitant au fil des pages. Quel brio, quel sens de la narration et de la construction !

« Aujourd’hui, le contexte est globalement pacifique, et au final, seule une minorité de conscrits se retrouvent véritablement appelés. Mais à l’époque, les guerres de l’Empire faisaient rage. Guerres d’Espagne, d’Autriche, d’Allemagne, et bien sûr la terrible campagne de Russie. L’armée prélevait alors de nombreux conscrits d’une classe d’âge, parfois même hors de la classe d’âge, et plusieurs fois par an. On a connu en France des levées jusqu’à trois cent mille hommes, rendez-vous compte ! […] Et sur un service actif qui durait sept ans, la probabilité de ne pas en revenir était particulièrement forte. »

Victor, Marianne, Constance sont de bien beaux personnages. J’ai découvert une autrice à suivre, son écriture et son scénario m’ont vraiment impressionné. C’est le deuxième roman de Cécile Baudin après Marques de fabrique, lauréat du Prix du Roman noir historique. Vient de paraître en mars un très tentant Dur comme fer dont l’action se déroule en Lorraine.

Lisez-vous des romans policiers historiques?

Notes avis Bibliofeel, avril 2025, Cécile Baudin, La constance de la louve

11 commentaires sur “Cécile BAUDIN, La constance de la louve

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