Alexandre POUCHKINE, La fille du capitaine

Roman traduit du russe par André Markowicz en collaboration avec Françoise Morvan, auteurs par ailleurs d’une brillante introduction.

Lu dans l’édition Actes sud « Babel » de mai 2020

272 pages

Illustration de couverture Lucie Hardie

Griniov est un jeune homme assez écervelé dont l’éducation a été confiée à Savéliitch, à la fois maître, surveillant et domestique. Il a ainsi su lire et écrire le russe à douze ans et raconte avec ironie : « …j’étais en mesure de juger des qualités d’un lévrier ». Il est ensuite confié à un Français, Monsieur Beaupré, un enseignant au « CV chargé ».

« Beaupré, dans sa patrie, avait été perruquier, puis, en Prusse, soldat, après quoi il avait poussé jusqu’en Russie […] C’était un brave garçon, mais frivole et coureur à l’extrême. La passion du beau sexe était son talon d’Achille ; souvent, en retour de ses hommages, il recevait de ces taloches qui le laissaient couché, à geindre pendant des jours entiers. De plus, il n’était pas (selon son expression) ennemi de la bouteille, c’est à dire, pour parler comme chez nous, qu’il avait le gosier en pente. »

A seize ans la vie de Griniov change, son père, ancien officier de l’armée impériale, décide que son fils « … a assez couru les servantes et grimpé dans les colombiers ». Il l’inscrit dans la garde, au service du gouverneur d’Orenbourg. Griniov part avec Savéliitch. A une auberge il fait la connaissance d’un capitaine de hussards, Zourine, qui l’invite à dîner et à jouer au billard :

« Zourine buvait sec et me servait d’abondance, disant que je devais m’habituer au métier des armes. »

Voilà pour l’ambiance très russe de ce début de ce roman très court mais intense. Griniov voyage en kibitka, une grande carriole couverte tirée par des chevaux, dans l’immensité des paysages de neige. Il boit du kvas, boisson populaire légèrement alcoolisée. La chambre est éclairée à la flamme d’une écorce de bouleau, la loutchina. Le tout est d’une poésie folle, bien servie par la traduction qui efface, me concernant, la déception de la précédente traduction lue auparavant.

Je ne raconte pas la suite de cette histoire toujours relancée par des rebondissements, scènes d’amour, retrouvailles, trahison et vengeance. On ne s’ennuie jamais avec Griniov… et Pouchkine.

Chaque chapitre est introduit par une citation d’un poète ou d’une chanson russes. Le récit est solidement adossé à un épisode fameux de l’histoire russe, la révolte de Pougatchov qui a ravagé la Russie entre 1771 et 1774. Pouchkine a fait un énorme travail de recherche sur cette révolte paysanne. Il en a d’abord tiré un livre d’historien puis ce texte de fiction. Je fais immédiatement le parallèle avec Joseph Kessel, Les mains du miracle, précédent livre chroniqué sur ce blog, puisque contrairement à Pouchkine, Kessel s’est contenté d’un texte de fiction, moins achevé.

La portée allégorique est grande. En effet, toute sa vie, le poète a dû se battre contre l’oppression du régime autocratique. A travers le récit de la révolte de Pougatchov, il dénonce le mépris des élites envers le peuple russe et un pouvoir aveugle et sourd.

Griniov va être en contact direct avec Pougatchov et vivre des sentiments mêlés à son égard. Ce dernier est une brute, n’hésitant pas à piller et à tuer. Griniov engagé à défendre un fort lointain (alors qu’il avait espéré une vie plus plaisante à Pétersbourg) lui devra malgré tout la vie, leurs rapports sont complexes, emprunts d’une sorte de compréhension mutuelle. Griniov cherche par tous les moyens à sauver la fille du capitaine dont il est amoureux. Le jeune homme est tiraillé entre sa passion amoureuse, son désir de tenir honnêtement son poste de militaire et son attirance pour Pougatchov – ayant partagé involontairement une aventure marquante avec lui… Le récit décrit les faits et ne prend pas parti.

Les autres personnages sont plus conventionnels : soit attachants comme cette Vassilissa Iégorovna, la lumineuse femme du capitaine, ou repoussants avec ce Chvabrine dans la noirceur du traître réapparaissant quand on ne l’attend pas.

Je suis heureux d’avoir lu cette belle édition : le texte, dans cette traduction, est magnifique. L’introduction éclaire le contexte d’écriture et les notes sont précieuses. Un livre à lire et à relire quand j’aurais besoin d’approcher la perfection littéraire.

Alexandre Pouchkine (1799-1837) est à l’origine de la langue russe moderne ; c’est là son dernier roman. Écrit en 1836, il meurt lors d’un duel quelques mois plus tard.

Autres citations :

« Dans son égarement, Beaupré fit mine de se lever, mais en fut incapable : l’infortuné Français était ivre mort. A cent malheurs, un seul remède. Mon père le tira du lit par le collet et le chassa de chez nous le jour même, à l’indicible joie de Savéliitch. Cet épisode mit fin à mon éducation. »

« Comme les hommes sont étranges ! Pour un seul mot, qu’ils auront oublié une semaine plus tard, sans doute, ils sont prêts à s’égorger et sacrifier non seulement leur propre vie, mais leur conscience, et le bonheur de ceux qui…Mais ce n’est pas vous qui avez commencé cette dispute. Ce doit être la faute d’Alexeï Ivanytch. »

Notes avis Bibliofeel, septembre 2023, Alexandre Pouchkine, La fille du capitaine

12 commentaires sur “Alexandre POUCHKINE, La fille du capitaine

    1. Expliquer ce qui ne vous a pas plu serait un exercice intéressant. Il permet de développer l’esprit critique. Il arrive même souvent qu’on découvre des qualités à l’œuvre rejetée au départ, surtout dans le cadre d’une lecture imposée à l’école.

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