Barbara AUZOU, Grand comme

Éditions unicité, collection Le metteur en ligne

Date de publication : 1er trimestre 2024

106 pages

Au départ, un titre énigmatique : « Grand comme »… Il n’y a pas de points de suspension et pourtant il n’est pas difficile de poursuivre, chacun selon sa vie, son imaginaire. Barbara Auzou ouvre, dès le titre, un chemin vers le lecteur. Avec elle nous irons parcourir les sentiers qui vont de la naissance à la mort, dans des contrées de conscience inouïes. Elle réunit nos plus belles émotions pour en faire un bouquet qu’elle nous offre en toute simplicité. Entre tremblement et assurance de la route suivie, elle trouve des mots simples pour aller chercher ce qui nous réunit tous. Complétons à l’envie : Grand comme nos parents, nos sœurs, nos frères, comme nos héros, nos poètes… Grand comme tous nos modèles, toujours plus grands que nous. Grand « comme ton visible passage sur l’âme de mon corps », avec la sensualité au centre de ce petit recueil de grande et belle poésie.

Et si « L’enfant erre au fond de nos sourires », le temps impalpable fait son œuvre, « infime torsion vécue par une autre que moi ». Les choses sont dans l’expansion avant « que tout commence à dégrandir / dans la malice d’une houle céréalière ». Les récoltes sont agitées par le vent, peut-être par la tempête mais elles sont sous nos yeux, à portée de mains… à portée de mots. La poétesse « crieuse d’herbes » cultive sa déraison « dans un rire frais découpé dans les clairières de l’enfance ».

Barbara Auzou, ce sont des mots qui, accolés, forment des images de notre présence au monde, à sa beauté. « Je serai là / de la luzerne levée à la luzerne fanée ». On part d’une description, d’un paysage, d’une évocation jusqu’à l’être aimé, permettant une fusion des sentiments avec la nature omniprésente dans ces poèmes remplis d’oiseaux, de fleurs, de feu parfois, l’horizon et la terre, sans limite. Une sororité des lieux qui se gagne petit à petit.

C’est « la courbe pensive de la marguerite au bord du chemin / saisi de vérité », la promesse « de pincer longtemps la juste note d’une vie / traversière » Elle évoque aussi pudiquement tout ce qui fut déçu en nous, ces rosiers anciens mal coupés, le toucher plus long et l’âme en avance.

Suivre Barbara Auzou c’est prendre la lumière soudaine d’une étoile filante dans sa brièveté et son intensité émotionnelle. Une étoile filante comme ces oiseaux symboles du passage du temps, de l’éclat beau et furtif de la vie. Le poème se fait toujours plus chargé de couleurs comme « les oiseaux tatoués / de passion bleue / travestis en liberté bientôt / dis-moi où vont-ils / quand ils ont quitté nos paumes / ont-ils peur de fermer leurs yeux / sur un bonheur plus grand / que ce qu’ils en concevaient / emportent-ils avec eux / la bille de citron d’une indicible faim »

L’amour, la sensualité à fleur de peau traversent ce long poème qui va comme une vague qui reflue pour mieux revenir ensuite, plus forte peut-être que la précédente. Le calme des émotions douces passe aussi par des éclats soudains : « cheval au sang harponné / si friand du bel aujourd’hui / et qui n’a rien à signaler / si ce n’est les rêves fous / qu’il héberge dans le foin de ses pensées et de ses bravades »

J’ai trouvé ici une expression libre, totale, dans la plus grande simplicité. Le poème entre en moi sans peine, joue un rôle consolateur de peines qu’on croit personnelles alors qu’elles sont universelles. Chacun de nous est unique mais nous sommes aussi troublés d’une enfance fondatrice et d’un corps qui peu à peu s’épuise, chacune, chacun s’ingéniant à remettre « un peu de durée dans le basilic ».

Ce long poème, dans son morcellement, les blancs de la mise en page, trouve le chemin du recommencement, malgré les déception et la fuite du temps. Il est une présence au monde décuplée par les mots, leur simplicité et leur force, dans la musique lancinante d’une vie qui dégrandit et renaît en permanence. Le « Grand comme » du titre est peut-être Grand comme Réné Char, tellement je retrouve avec un immense bonheur (moi qui lis trop rarement de la poésie…) une proximité avec le grand poète, son engagement profond dans l’existence.

Barbara Auzou est née en 1969, en Normandie. Elle y enseigne les lettres depuis trente ans. Elle vient à la création poétique par le biais d’un atelier poésie mené pendant vingt-cinq ans, animant aussi un excellent blog, publiant inlassablement des poèmes qui m’ont enchanté et accompagné pratiquement depuis le début de ce blog Bibliofeel. Je vous invite à visiter son site et surtout à lire ce dernier recueil ou une de ses précédentes publications : Menthes-Friches (2020), Mais la danse du paysage (2021), La réconciliation (2022), Tout amour est épistolaire tome I (2023), avec un tome II en 2024.

J’ai cité beaucoup de fragments de poèmes dans cette chronique afin de vous faire goûter à cette « écriture de haut vol ciselée au plus juste, ce lâcher d’oiseaux au beau milieu d’un asile ordinaire » comme elle l’image si bien. Je reprends quelques lignes de la préface écrite par Ile Eniger (poète et romancière) lorsqu’elle écrit : Barbara Auzou « ouvre une fenêtre sur un paysage éblouissant de maîtrise et de sensibilité ». Un petit livre merveilleux qu’on n’a pas envie de refermer, comme la vie qui ne veut jamais céder de terrain… On peut vivre sans cette sensibilité au monde mais c’est tellement mieux avec…

Notes avis Bibliofeel septembre 2024, Barbara Auzou, Grand comme

14 commentaires sur “Barbara AUZOU, Grand comme

  1. Cher Alain,
    Je suis extrêmement touchée par cette note de lecture…
    J’ai un amour particulier pour ce recueil là car comme tu le dis ce n’est pas une succession de poèmes mais un seul et long poème qui m’a obligée à travailler autrement…
    Que serait l’écriture poétique si elle ne touchait pas à l’universel. Nous ne sommes particuliers que dans un ensemble et une connexion à un grand tout ( un Grand comme…).
    Merci aussi d’avoir évoqué Ile Eniger que j’admire et qui est une magnifique personne.
    Merci à toi aussi pour ta belle fidélité qui me touche profondément…
    Barbara

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Barbara, ton retour me comble de joie ! J’ai essayé de trouver les mots pour décrire mon ressenti, pâle reflet de ce recueil admirable. C’est moi qui doit te remercier pour tes poèmes et pour la gentillesse de tes commentaires. Quel livre de Ile Eniger conseilles-tu ?

      Aimé par 1 personne

    1. On est d’accord Alan… c’est magnifique, et chaque page renferme pleins d’images aussi marquantes que celle-ci. Barbara Auzou est une très grande poétesse. A découvrir et à faire connaître tellement le monde de l’édition fait peu de chose pour promouvoir la poésie.

      Aimé par 1 personne

  2. Bonjour Alain,

    Merci pour la découverte de cette autrice que je ne connaissais pas… Je vais regarder son site !

    « On peut vivre sans cette sensibilité au monde mais c’est tellement mieux avec… », me fait penser à un ouvrage d’Éric de Rus que j’ai lu, « La Grâce d’altérité ». Je ne connais pas bien l’auteur et ne peux m’en porter garante, mais il s’inscrit dans cette veine de l’exploration de sa sensibilité au monde.

    À bientôt !

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Lilly de t’intéresser à cette actrice. Son recueil Grand comme est très abouti, le fruit d’un énorme travail sur l’écriture, une épure de la langue. Elle me redonne le goût pour la poésie ! Beau dimanche à toi

      Aimé par 1 personne

Répondre à Lilly McNocann Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.