Cécile REYBOZ, Tentatives d’évasion

Nouvelles

Éditions Quadrature, publié en novembre 2024

130 pages

Tout commence avec Jolie rotonde vide suivi par Rompre à l’entracte. Dans Jolie rotonde vide, « elle » retrouve son collègue Christophe pour un premier rendez-vous hors du cadre du boulot. Elle a envie d’une nouvelle histoire et a mis des bas censés tenir seuls. Mais un des bas commence à glisser, prélude à une rencontre amoureuse qui ne tient pas toutes ses promesses. S’évader de la solitude n’est pas de tout repos… Pas plus facile que préserver une solitude choisie dans Rompre à l’entracte. Dans cette nouvelle très séduisante également, Violette profite d’une période enchantée, seule, au festival d’Avignon. Passionnée d’art, de spectacles, elle vit intensément cette période magique. « Violette soupire d’aise, se verse du café. Le festival est une petite éternité qu’elle attend toute l’année. Trois semaines de congé et son 13e mois y passent, sans hésiter. » Une évasion réussie mais voici qu’un couple d’amis, Marianne et Philippe, lui demande de leur faire découvrir le festival… Habituellement, ils n’ont plus le temps ni l’envie de ce genre de chose. L’évadée va-elle être reprise par la patrouille ?

Avec Le Zor et Si tu veux on est carrément dans une autre dimension, une échappée dans le rêve, dans le fantastique. Le Zor est un endroit mystérieux où l’on sort de la réalité immédiate pour être plongé directement dans un phénomène « psychanalytique où s’entassent nos secrets ». On y accède, après avoir pris rendez-vous, en descendant une volée de marches mal éclairées et un soupirail fermé par un cadenas rouillé… Accéder aux recoins de sa conscience n’est pas sans risque. Pierre et son ami Pipo vont tenter l’aventure et n’en ressortiront certainement pas indemnes.

« Pratiquer le sport, le jeûne, les régimes alternatifs, la méditation, le coaching, rester curieux, voyager, aller sur la Lune : ça oui, c’était plébiscité, Mais accéder aux recoins de sa conscience, non ? »

Dans Si tu veux, Cadette est une femme d’une soixantaine d’années, émerveillée par son jardin elle dialogue avec les plantes, les arbres et même les pierres… Lui apparaît une petite fille évanescente, celle-ci lui révèle sa maladie et lui dit qu’elle va bientôt mourir. Elle lui propose un marché :

« Si tu veux, on échange nos souffles. Je sais comment on fait. La rebouteuse m’a montré, c’est facile. Tu peux passer en moi et récupérer mon souffle. Moi je passe en toi avec ma maladie et je meurs, et tout le monde croit que c’est toi qui est morte. Mais en fait, toi, tu es en vie, tu es passée en moi et tu as six ans et demi. Ça marche super bien ! Alors, tu veux ? »

Projet Granville tourne autour du thème des désirs mal accordés, désir de solitude voulue et assumée contre désir de vie en couple. Jean-Paul est kiné en région parisienne. Il travaille beaucoup, beaucoup trop. Il a la cinquantaine et a rencontré Émilie trois ans plus tôt. Elle a tout organisé, ils prennent le train direction Granville, lui sans enthousiasme. Début d’une évasion non programmée.

« C’est que depuis des mois, Jean-Paul se sentait oppressé, poursuivi, comme obligé de courir devant une vague qui roulait et enflait sans jamais casser, menaçant de le submerger. »

Place à la jeunesse dans Nocturne héroïque. Peut-être l’évasion la plus spectaculaire puisqu’elle concerne un jeune homme doublement contraint par sa mère avec qui il vit et cette période de confinement Covid. Thibault a commencé des études de droit mais s’est engagé pour huit ans dans l’armée. Il est dans l’attente de son incorporation. Culturisme, envie de foncer face à une vie empêchée de tous côtés. Un peu perdu il sort la nuit, bravant le couvre-feu. Il rencontre Chloé et son amie Anne-Lise avec et fait un bout de chemin avec elles. S’évader avec l’une ou l’autre, déroger aux codes sociaux habituels pour se laisser aller à ses émotions ? Bien construite, complexe, elle est une de mes préférées.

« Sur le pont de la Concorde, si silencieux qu’on entend l’eau bouillonner, deux filles non masquées sont accoudées au parapet. Elles se retournent. L’une est mignonne, banale ; l’autre ronde, non, vraiment grosse. Brune au teint pâle, un blanc moiré si fin que son décolleté semble de nacre. Des yeux brillants, un regard agressif prêt à en découdre. Moche mais vivante, se dit Thibault. »

Six récits très différents se succèdent, autour d’un thème qui nous parle à tous : l’évasion. Aucune prison ici, si ce n’est les multiples prisons des contraintes sociales, familiales, amoureuses, psychiques… Les femmes sont très présentes mais la parole est aussi donnée à des hommes dans trois nouvelles : Le Zor, Nocturne héroïque, Projet Granville. J’ai remarqué chez ces hommes l’importance de leurs désirs professionnels (et ces termes dans le titre : projet, héroïsme…), alors que les femmes sont plus dans la famille, le lien social ou amoureux (jolie, rompre, si tu veux…). Pour tous un terrible isolement qui les fait chercher dans la confusion la voix d’une vie plus épanouie.

Envie d’évasion? Vous adorerez ces récits, leur lecture est une clé magique qui ouvre des portes à priori infranchissables. L’autrice sait nous plonger rapidement dans chaque récit. C’est court, intense, jamais lassant. En une vingtaine de pages, tout un univers s’ouvre. La nouvelle (quand elle est réussie…) me semble une friandise qu’on déguste avec gourmandise, sans effort et sans contrainte, un peu comme le goûter quand on était petit… Des petites histoires, comme on nous en lisait, peut-être, enfant… Ensuite le sommeil est plus calme.

En 4ème de couverture : « Sylvie Reyboz vit et travaille à Paris, mais s’évade régulièrement pour gagner une cachette familiale en Isère, sur le massif de Belledonne, où elle aime regarder les arbres pousser, les fleurs s’ouvrir, la neige s’accumuler puis fondre. Elle a publié plusieurs romans, dont Chansons pour bestioles chez Actes Sud et Face à la pente chez Denoël. »

Quadrature est une maison d’édition indépendante de statut associatif. Elle a pour objectif de promouvoir la nouvelle en langue française. L’équipe de Quadrature sait sélectionner ses auteurs et je me réjouis quand un nouveau recueil voit le jour.

Notes avis Bibliofeel, novembre 2024, Cécile Reyboz, Tentatives d’évasion

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