Pauline HILLIER, Les Contemplées

La Manufacture de livres

Date de parution : février 2023

184 pages

Voici un « Roman autobiographique » sur les pas d’une jeune féministe à la poursuite de ses rêves de justice et d’égalité pour toutes. Pauline, au cours d’une action des Femen réclamant la libération d’une tunisienne emprisonnée, s’expose seins nus avec une couronne de fleurs dans les cheveux, devant le tribunal de Tunis. Immédiatement arrêtée, menottée, elle est incarcérée à La Manouba. Plusieurs années après les évènements, elle nous livre un récit fiévreux de ces semaines où elle a subi les humiliations du personnel de la prison, mais aussi goûté à la solidarité et tissé des liens avec ces femmes – petites délinquantes, voleuses, criminelles – qu’elle a côtoyées.

J’aime les récits où l’auteur est infiltré dans un milieu pour mieux l’étudier et le comprendre. Je pense à Günter Wallraff, à son livre Tête de turc où il se fait passer pour un travailleur immigré turc sans carte de travail, à Florence Aubenas et son Quai de Ouistreham, fruit d’une immersion dans la condition des travailleuses les plus précaires. Le cas de Pauline Hillier est un peu différent, elle n’a pas vraiment prévu d’être incarcérée dans la sinistre prison pour femmes de La Manouba en Tunisie. Elle connaissait les risques de son action mais a visiblement été surprise par la violence des conditions de détention. Amenée à partager le terrible quotidien de ces femmes emprisonnées, elle va observer celles à qui on ne donne jamais la paroles, comme une opportunité et une prolongation à son combat féministe.

Rien n’est fourni par la prison, même pas une cuillère ou une assiette qu’il faut demander à la famille quand on en a une. La nourriture est mauvaise, insuffisante. Ses anciens vêtements, jean et débardeurs, sont interdits. Pauline, bientôt surnommée Bolona, se retrouve en pantoufles, avec un pantalon trop grand retenu par une pince à linge, cadeaux de ses codétenues car, heureusement, au pavillon D, la solidarité est réelle, organisant « la survie » à vingt huit dans une trentaine de mètres carrés. Elle a seulement réussi à conserver un livre « Les contemplations » de Victor Hugo, utile pour écrire ses notes dans les marges et qui lui fournira un beau titre pour son livre.

Pauline a vaguement appris à lire dans les lignes de la main, sans y croire, par jeu. Elle va s’en servir afin d’établir le contact et pour s’occuper. C’est ainsi qu’elle prend la main d’ Hafida, par gratitude envers celle qui est venue lui parler, la rassurer. Très vite la magie opère et en retour Hafida lui raconte son histoire. La Bolona devient alors, pour l’ensemble du pavillon D, « la voyante », celle que l’on interroge pour rendre le présent moins sombre et l’avenir moins incertain. Elles vivent dans la promiscuité et l’ennui, les sorties sont rares – un quart d’heure, deux fois par semaine environ… Elles se nomment : Lina mais tout le monde l’appelle « Fuite » , Chafia l’insomniaque, La Cabrane redoutée au début mais utile pour « cantiner » et pour le marché noir, Boutheina, criminelle et grand-mère de substitution, et bien d’autres, troublantes, inquiétantes, fragiles, attachantes :

Moi qui pensais savoir quoi du bien quoi du mal, qui à tort qui à raison, qui de bon qui de mauvais, j’ai été déboulonnée de toutes mes certitudes. Moi qui me croyais forte, je suis devenue humble. Moi qui venais parler, j’ai appris à écouter.

Ce pourrait être un témoignage très intéressant. C’est bien plus que cela, une sorte de magie opère en permanence nous faisant vivre les évènements et éprouver les sentiments de ces prisonnières. La force de l’écriture est là, dans les détails, dans la crudité des situations, sans misérabilisme. Conservant la distance avec ce qui lui est raconté, inventant ce que sa mémoire a oublié et ce que réclame la littérature, Pauline Hillier sait utiliser l’humour pour rendre cocasse les absurdités de la domination patriarcale et celles de la complexité humaine qui n’a pas de sexe. L’histoire de Boutheina, meurtrière suite à une altercation entre voisines qui tourne au drame, devient aussi pathétique que drôle :

A mesure que les noms d’oiseaux et les menaces fusaient, les deux voisines s’étaient dangereusement rapprochées, jusqu’à se retrouver presque museau contre museau, comme deux buffles au combat. Le ciel de plus en plus lourd était prêt à se fendre. La foudre allait tomber d’un instant à l’autre. Les moucherons attaquaient nerveusement leurs visages comme s’ils voulaient se joindre au combat. Les poules couraient en tous sens, commentant en caquetant le match en cours. Les moutons apeurés avaient filé e à l’autre bout de la cour, pour se planquer derrière un buisson de ronces. Le vieux coq complètement déboussolé avait poussé son cri à six heures de l’après-midi, comme pour mettre fin à la pagaille. 

Dans ce récit court mais particulièrement intense, domine la réflexion sur l’emprisonnement de ces femmes souvent victimes d’une société qui ne les écoute pas, les rejette au moindre faux pas. Condamnée à un an au départ, Pauline Hillier aura passé un mois à La Manouba. Un mois cela peut paraître court mais vous pouvez me croire, quand vous aurez lu ce livre, vous trouverez que c’est très très long. Lisez-le, il en vaut la peine (selon moi évidemment), il déborde de qualités morales et littéraires ! L’image que je garderai : la lecture et les confessions recueillies dans la paume de la main des détenues ainsi que le tatouage au henné en retour dans la paume de Pauline.

Pauline Hillier est née en Vendée en 1986. Elle écrit depuis l’adolescence. Son premier roman, A vivre couché, est paru en 2014. Membre du mouvement international Femen de 2012 à 2018, elle a participé à de nombreuses actions, en France comme à l’étranger. Les Contemplées lui a été inspiré par son séjour en prison en 2013. « Une révélation ! Un magnifique roman, puissant, incandescent et d’une folle liberté » selon Augustin Trapenard qui l’a invitée à la Grande Librairie pour une séquence que je recommande.

La Manufacture de livres a été créée en 2010. Cette maison d’édition indépendante, fondée et dirigée par Pierre Fourniaud, a fait connaître des auteurs comme Franck Bouysse, Benoît Séverac ou Laurent Petitmangin… Les Trophées de l’édition organisés par Livres Hebdo lui ont décerné le prix du meilleur éditeur de l’année. Un éditeur « dégagé de la pression des grands groupes ». Précieux et prometteur d’autres découvertes. Cela me plaît vraiment !

Notes avis Bibliofeel, mai 2023, Pauline Hillier, Les Contemplées

15 commentaires sur “Pauline HILLIER, Les Contemplées

    1. Je comprends tout à fait, il faut varier les lectures. Concernant cet excellent roman, il me semble très réducteur de le classer dans la catégorie livres féministes. J’espère que ma chronique n’a pas donné cette impression !

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  1. Que dire de plus. Que le combat féministe est crucial et même dangereux pour celles qui le pratiquent avec courage dans certains pays. Ce pouvoir archaïque est immonde et fait reculer l’humanité. Certains feraient bien de quitter leurs vieux manuscrits pour se consacrer concrètement au bien-être de ces femmes à qui ils doivent temps depuis l’aube de l’épopée humaine.
    Merci pour ce partage important 🙏

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    1. Merci Alan. J’espère que ce beau roman trouvera ses lecteurs et lectrices. Il le mérite. Pauline Hillier a trouvé les mots pour raconter une expérience hors norme qu’elle n’oubliera pas. Je suis frappé par le fait qu’un tel livre en dit beaucoup plus que tous les reportages qu’on pourrait voir sur ces questions. Un roman réussi me semble beaucoup plus fort qu’un film. Ce n’est certainement pas une bonne chose que l’image gouverne nos société alors que le livre est plutôt à la marge !

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      1. Oui les mots ont cette force de ne rien montrer mais ils nous permettent de « voir » différemment par notre ressenti, une émotion plus profonde. Cette femme a été au contact véritable et forcément, ayant vécu réellement ces moments difficiles, l’impact est plus fort qu’une simple description de faits. Surtout quand en plus on a ce talent littéraire que tu décris.

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  2. Faire de ces femmes, des « Contemplées » est une belle idée. Je n’irai pas spontanément vers ce type de livre-document, mais les extraits m’ont bien plu. Elle semble avoir une façon d’écrire déroutante. J’oublie le mot « document ». « Autobiographie » semble en effet mieux lui convenir.
    J’ajoute une rose pour commencer un bouquet que Pauline Hillier a bien mérité…

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    1. Le terme roman autobiographique, en quatrième de couverture, me semble assez juste. Il s’agit d’un vrai roman puisque j’ai lu qu’elles étaient trois manifestantes étrangères emprisonnées ensemble, que les noms avaient été changés afin de ne pas nuire aux codétenues dont il est question dans le livre… Une part d’autobiographie certes mais un vrai roman, grâce au talent de plume de Pauline Hillier qui, c’est exact, mérite bien une rose !

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  3. Mon commentaire ne se publie pas apparemment 😦 j’espère que cette fois c’est la bonne car je ne connaissais pas ce titre et je voulais te remercier pour cette découverte très tentante !

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    1. Oui, c’est la bonne ! Normalement tout fonctionne bien… Je suis toujours ravi d’avoir des remerciements et c’est avec plaisir que je les publie. « Les contemplées » parle de sujets graves sans être pénible à lire, bien au contraire. Pauline Hillier a trouvé le ton juste, cela peut-être une bonne idée de se laisser tenter. Merci pour le (les) messages !

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